«The Times» revisite l’histoire de l’église Saint Andrew à Tanger, symbole de la tolérance religieuse du Maroc

Erigée au 19ème siècle à Tanger, l'église Saint Andrew se caractérise par sa tour crénelée et son architecture «anglo-mauresque». (S.Kadry/Le360)

À Tanger, l’église anglicane de Saint Andrew représente un pan de l’histoire de la ville. Bâti il y a 140 ans, l’édifice religieux est non seulement un joyau architectural, mais aussi la dernière demeure d’illustres personnalités britanniques, témoins éternels de la tolérance religieuse qui fait l’identité du Maroc.

Le 08/10/2024 à 16h52

Dans un article publié le 6 octobre, intitulé «Étrangère dans une terre étrangère: l’église anglaise de Tanger», le magazine britannique The Times part à la découverte de l’église Saint Andrew de Tanger, laquelle connaît depuis sa construction au 19ème siècle une forme de renaissance, alors que la communauté anglicane de la ville se réapproprie le lieu, qui nécessite toutefois d’être restauré.

L’histoire ce cette église témoigne non seulement de l’histoire multiculturelle de Tanger, mais aussi de la coexistence religieuse qui fait l’identité du Maroc. Ainsi, il y a 140 ans, le sultan du Maroc offrait au gouvernement de la reine Victoria un terrain au cœur de Tanger, pour qu’y soit érigée une église destinée à la communauté britannique de la ville.

Aux origines d’une église devenue un symbole de la tolérance religieuse

La réalisation de cette église en terre musulmane fut confiée à Sir John Drummond Hay, envoyé extraordinaire du Royaume-Uni à la Cour du Maroc à la fin du 19ème siècle. Issu de la noblesse écossaise, il a été chargé, en 1884, de «sécuriser le terrain où l’église sera construite», et devait également superviser le convoyage par la mer, de Londres à Tanger, d’un premier édifice, et son installation sur l’espace offert par le sultan.

Il s’agissait alors d’une «église préfabriquée en fer (…) qui fut érigée en 28 jours», est-il indiqué. Il accorda à cette église le nom du saint patron de l’Écosse, Saint Andrew (Saint-André), et ce n’est qu’en 1894, «une année après sa mort», que sa veuve posa la première pierre de l’église sous sa forme actuelle».

L’influence de la famille de Sir John Drummond Hay sur l’architecture de l’église Saint Andrew n’est pas négligeable. En effet, remarque-t-on, «la flamboyance du style mauresque est contrebalancée par une légère austérité presbytérienne». Ainsi, la bâtisse témoigne d’une histoire commune.

Caractérisé par sa tour crénelée de style «anglo-mauresque», au sommet de laquelle «flotte l’Union Jack, surplombant le détroit de Gibraltar», décrit The Times, ce «morceau de Grande-Bretagne en Afrique musulmane, son cimetière ombragé et sa nef gracieuse, bordée de colonnes en marbre inspirées de l’Alhambra en Espagne, procurent une oasis de paix au cœur de l’animation de la ville».

Mais l’église Saint Andrew n’est pas le seul legs du célèbre diplomate dans la ville du détroit. Celui-ci avait également «présidé à l’âge d’or de la chasse au sanglier au Maroc» et «servi une communauté britannique installée à Tanger, dont les origines remontent à la brève colonisation de la ville de 1661 à 1684», poursuit l’article. Cette église, «devenue un symbole de la tolérance religieuse de Tanger», a prospéré «lorsque la ville abrita la zone internationale gérée par les puissances coloniales entre 1923 et 1956».

Dans la paix du cimetière, d’illustres personnages

Le cimetière de l’église Saint Andrew raconte lui aussi un pan de l’histoire anglo-marocaine. Ici gisent les «restes d’une espèce éteinte», écrit The Times, énumérant les noms des illustres personnages qui reposent en ces lieux. «Le cimetière compte de nombreuses personnes très intéressantes, pas seulement des personnalités, mais aussi des dissidents et des artistes», relève à ce sujet Veere Grenney, responsable de l’église, rappelant que «Tanger a attiré beaucoup de marginaux et (que) le cimetière témoigne grandement de cela».

Parmi ses illustres occupants figure Sir Harry MacLean, «un soldat écossais qui devint plus tard le commandant de l’armée du sultan», cite The Times. Son décès fut un évènement notable, sur lequel s’attarde la publication britannique, car, explique-t-on, quand il fut enterré dans ce cimetière en 1920, «une énorme foule assista au service», selon le registre funéraire de l’église. «Des représentants du sultan, des diplomates et une foule d’une centaine de personnes» y assistèrent ce jour-là. La tombe en marbre de Sir MacLean, «qui était connu en tant que caïd ou chef, est le joyau du cimetière», note l’article.

Autre personnalité reposant dans le cimetière de Saint Andrew: Walter Harris, «un correspondant du Times qui joua un rôle dans les intrigues diplomatiques du pays et qui fut l’un de ses meilleurs chroniqueurs». Mort en 1933, «ses funérailles connurent le même engouement que celles de Sir MacLean». Sa mémoire est entretenue par une tombe «décorée de zelliges locaux» et par une plaque installée à l’intérieur de l’église que lui a dédiée The Times en 1995, en témoignage de «son amour pour le peuple marocain».

Au cours de ses années au Maroc, Walter Harris «devint même l’ami de son ravisseur, Raisuni (Mohamed Ben Abdallah Raissouni, chef de guerre dans le Rif, NDLR), et fut libéré lors d’un échange de prisonniers», rappelle-t-on. En 1889, «il fut l’un des trois Européens à avoir visité la sainte cité musulmane de Chaouen, dans les montagnes du Rif».

Dans sa nécrologie, The Times rappelle qu’à l’occasion de tels voyages, Walter Harris adoptait le style typique d’un «fanatique religieux», avec «la tête rasée, une mèche d’un pied de long pendant depuis le sommet du crâne, un étui à fusil rouge en guise de turban, une courte jellaba brune, un cou et des jambes nus et bronzés, portant un long fusil indigène à la main, et jetant des regards furtifs autour de lui, comme le font les hommes d’ici».

Expert en art mauresque, Walter Harris était aussi le confident d’au moins trois sultans marocains, poursuit The Times. À Tanger, il se fit construire une maison, la fameuse Villa Harris, reconvertie désormais en centre culturel. Le récit qu’il a dédié à sa vie dans ce pays, intitulé «Morocco That Was» (Le Maroc qui fut), est considéré comme un chef-d’œuvre, note la publication anglaise.

La renaissance de l’église Saint Andrew

Aujourd’hui, l’église Saint Andrew «est toujours là, dans l’endroit le plus merveilleux: un acre et demi de ce qui ne peut être qu’anglais, mais qui est étranger dans un pays étranger», déclare Veere Grenney. Si «l’âge d’or de l’église est peut-être révolu», car «elle a souffert de négligence ces dernières années», ses protecteurs veillent encore sur elle. Ils ont à cet effet créé une association caritative enregistrée au Royaume-Uni «pour lever des fonds afin de consolider d’urgence les fondations affaissées du clocher et restaurer les murs fissurés de l’église».

Outre les travaux de restauration, qui constituent une urgence, l’église Saint Andrew recherche aussi un prêtre anglican pour devenir le chapelain à plein temps d’une congrégation, certes «beaucoup plus petite qu’autrefois, quand elle comptait 80 personnes», explique Yassine Khamlichi, qui a été le gardien de l’église pendant 16 ans. Toutefois, celle-ci s’étoffe aujourd’hui avec l’installation à Tanger de nombreux étrangers, notamment des Anglais, des Français, des Américains et des Nigérians, qui participent à la renaissance de l’église. Sans compter que «de plus en plus de personnes ont envie de visiter ce formidable édifice historique», conclut Veere Grenney.

Par Zineb Ibnouzahir
Le 08/10/2024 à 16h52