Une stratégie à l’international plus offensive pour nos entreprises

Adnan Debbarh.

ChroniqueL’effort diplomatique d’envergure déployé sous le règne du Roi Mohammed VI a permis au Maroc d’être présent sur tous les continents. C’est un grand gain qu’il faut pérenniser en le valorisant économiquement et culturellement. Nos entreprises sont appelées à se mettre au diapason de notre diplomatie et engager une stratégie offensive à l’international.

Le 19/02/2023 à 09h05

L’ouverture de plusieurs ambassades et consulats du Maroc à travers le monde se poursuit. Dispositif impressionnant, nécessaire mais coûteux, qui assure visibilité, défense des intérêts et maintien des liens avec la diaspora. La plupart des pays modernes, dont la diplomatie est guidée par la rationalité et le sens des intérêts, nous ont précédés dans cette démarche: multiplication des missions diplomatiques. Toutefois, à la différence de ses prédécesseurs qui ont, pour la plupart, au cours de leurs histoires, ouvert des ambassades pour accompagner et approfondir une activité commerciale, le Maroc a préféré prendre les devants et les ouvrir dans nombre de nouveaux pays pour mieux défendre notre cause nationale. Tablant sur le nécessaire développement des dynamiques commerciales et culturelles par la suite. Car, il faut le dire d’emblée et franchement, beaucoup de pays attendent de nous investissements et échanges commerciaux, comme suite logique à l’installation d’ambassades.

On peut dire que dans notre cas, la diplomatie a devancé l’économique et le culturel. Ce faisant elle a posé un grand questionnement: notre économie va-t-elle avoir la même vitalité que notre diplomatie ou laisser cette dernière s’essouffler faute d’appuis?

La problématique du rattrapage, ou l’accompagnement économique de notre diplomatie, ne devrait pas à priori poser problème. A condition d’emprunter la bonne démarche. Le fait d’avoir opté pour un modèle économique ouvert aide pour la mise en condition.

Quelques rappels. Nous sommes déjà une économie ouverte qui dispose d’atouts. La richesse produite annuellement par le Maroc (PIB), cinquième puissance économique d’Afrique, permet très certainement, si on la place dans une dynamique de croissance soutenue qui allie création de richesses internes (PIB) et externes (investissements à l’étranger), la conduite d’une politique économique ouverte. La signature de plusieurs accords de libre-échange a accru notablement nos importations et nos exportations. Le degré d’ouverture de notre économie, calculable en divisant la moitié du cumul de nos importations et de nos exportations par le PIB, nous donne 43%. Nous sommes aussi ouverts que les Allemands et beaucoup plus que les Français. Autre indice indicatif d’ouverture utilisé par les analystes économiques: le montant (stock) d’investissements étrangers sur le PIB. Pour le Maroc, il est de 53%. En France, il est de 33% et en Allemagne de 13%.

L’ouverture/interdépendance sur le monde de notre économie est plus importante que certaines analyses tendent à accroire. Est-ce une fragilité ou un atout? La réponse ne peut être qu’holistique et politique. Le repli n’est pas à l’ordre du jour au vu des risques politiques (cause nationale) et économiques (interdépendance) qu’il comporte. Si le Maroc souhaite aller vers la confirmation de sa puissance régionale et l’émergence économique, il doit poursuivre dans l’ouverture construite.

La construction raisonnée de notre ouverture passe par le développement des capacités exportatrices de notre système productif et l’encouragement de nos PME intéressées à s’internationaliser (investir à l’étranger).

Commençons par notre système productif. Des informations récentes font état de 11.000 entreprises exportatrices au Maroc. Dont 600 réalisent un chiffre d’affaires significatif. Des 600, 3% réalisent 80% des exportations, 17% réalisent 17% et le reliquat est l’œuvre des milliers restants. Cette situation s’éclaircit mieux avec la ventilation des exportations par produits. Globalement, nous exportons 40 milliards de dollars américains, l’OCP en exporte 11, l’automobile 10, l’agroalimentaire 8, le textile 4 et l’aéronautique 2. Cela fait déjà 35. Nous sommes en présence d’une économie de flux (la production se renouvelle à l’infini y compris les phosphates au vu du niveau des stocks disponibles) qui gagnerait à diversifier son offre pour toucher de nouveaux marchés. Elle dispose pour ça des politiques d’attraits de l’investissement mises en place par le gouvernement, du Fonds Mohammed VI, invité à attirer/initier d’autres métiers mondiaux à la faveur des relocalisations, et d’une force de frappe (à condition d’être accompagnée financièrement et encadrée) de départ: les 10.000 et quelques TPE/PME qui ont une expérience de l’export et disposent d’un gisement très important de produits variés à travers la valorisation des territoires.

Le deuxième volet de l’ouverture et dont l’importance est aussi extrême: c’est l’opportunité offerte à des entreprises marocaines d’investir hors du territoire national. La législation récente a encouragé cette orientation en autorisant le transfert à l’étranger de capitaux pour l’investissement jusqu’à des montants importants (100 millions de dirhams). Nous ne sommes pas en domaine inconnu. Le Maroc est deuxième investisseur africain en Afrique et premier en Afrique de l’Ouest. Quelques entreprises marocaines ont traversé le Détroit et se sont installées dans des pays européens. Cependant, cette situation, à priori encourageante, manque de vision d’ensemble et de stratégies à même de lui permettre d’exploiter notre potentiel financier et entrepreneurial de manière optimale. Un ensemble bancaire de poids international (alliance des trois banques Attijari, BCP et BOA) permettrait de remporter un avantage déterminant face aux banques égyptiennes et de se positionner derrière la Standard Bank Group sud-africaine. Cet ensemble pourrait étendre son réseau en Afrique et s’impliquer plus dans l’implantation de nos PME sur le continent. Beaucoup de nos entrepreneurs, qui disposent d’une expérience professionnelle, envisageraient tout à fait d’aller dans d’autres contrées déployer leur savoir-faire en faveur des marchés locaux ou étrangers. Nous avons une expérience déjà avérée dans le commerce, à laquelle il faut ajouter la confection, la petite industrie et les services. Il y a presque 2000 PME déjà actives dans ces contrées. Cela demeure insuffisant, rapporté au potentiel. D’autant qu’il y a un autre secteur qui vient s’adjoindre avec beaucoup de promesses: le secteur agricole. Notre savoir-faire dans les cultures saisonnières irriguées, voire dans l’arboriculture, peut être mis à profit chez plusieurs de nos pays frères. Les expériences menées actuellement en Mauritanie et au Sénégal (pastèques et arboriculture) doivent trouver support.

Si l’internationalisation des entreprises marocaines est essentiellement dévolue au secteur privé, par la force des choses, on ne saurait oublier le rôle de l’Office Chérifien des Phosphates qui joue le rôle de précurseur dans plusieurs pays.

Notre diplomatie, comme ses pareilles à travers le monde, nous n’aurons de cesse de le répéter, a besoin de s’appuyer sur une économie forte à l’intérieur et à l’international. Est-ce demander à notre économie une démarche irrationnelle? Investir ou échanger à perte? Loin de là, les taux de retour sur investissement sont encourageants.

Renforcer nos relations et nos échanges avec nos partenaires traditionnels du Nord, tout en se donnant les moyens de nouvelles ouvertures vers le Sud (Afrique d’abord et Amérique Latine ensuite) sont les objectifs d’un modèle économique ouvert qui a pour finalité d’augmenter notre croissance et notre développement et d’aider notre diplomatie.


Par Adnan Debbarh
Le 19/02/2023 à 09h05