Acheter ou non une voiture électrique? Ce n’est pas une interrogation où les éléments du pour et du contre seraient équilibrés. Pour le moment, l’hésitation prévaut. Les prix sont élevés et la technologie est toujours en évolution. Les données scientifiques pour la conception des batteries à large autonomie ne sont pas encore maîtrisées.
Mais compte tenu de l’urgence écologique et environnementale, tout conducteur de voiture ne peut réfuter les menaces qui pèsent sur la planète: gaz à effet de serre, réchauffement, bouleversement climatiques (sécheresse, inondations, cyclones…) et menaces sur la biodiversité. L’usager du moteur thermique ne peut éluder non plus la question du rapport dévoyé de l’homme avec la nature et la «folie» avec laquelle il la traite.
Les chiffres sont inquiétants. Selon une étude réalisée il y a quelques années, il y aurait près de 1,42 milliard de voitures à moteur à combustion dans le monde, avec 1,06 milliard de voitures particulières et 363 millions de véhicules utilitaires. Le débat autour de la voiture électrique dans la mobilité humaine participe aujourd’hui à une prise de conscience certaine.
Il est proposé ici de faire un état des lieux (sans prétendre à l’exhaustivité) en identifiant les portées et limites de cette «solution» fondée sur la mobilité électrique. Ni encourager ou décourager l’acte d’achat! Le choix reste individuel et volontaire. De plus, chez nous, les pouvoirs publics n’ont pas encore prévu des incitations pour l’acquisition d’un véhicule électrique. Ils n’ont pas non plus imposé une échéance ou un délai. Sachant aussi que les principaux responsables de la pollution sont la Chine, l’Inde, les États-Unis et l’Europe. L’urgence de la transition écologique, issue aussi d’un sentiment de culpabilité, serait plus aiguisée chez les pays pollueurs qu’au sein des pays émergents ou en développement.
Avantages et limites de la voiture électrique
Sur le plan des avantages, la voiture électrique participe incontestablement à la réduction des émissions de gaz à effet de serre. Elle est propre, non dépendante du pétrole et paraît facile à entretenir. Ni vidange, ni pot d’échappement, ni pistons, ni bougies… Les frais d’entretien sont inférieurs à ceux d’un moteur thermique. Les éléments concernés par l’usure sont notamment les pneus et les systèmes de frein. Elles seraient moins exposées aux pannes.
Chaque kilomètre parcouru coûte cinq fois moins cher que pour le diesel. Le coût de la recharge de la batterie est peu élevé. Le véhicule est silencieux (même si certains y voient un danger pour les piétons), agréable à conduire et son accélération est optimale au démarrage ou lors de la reprise après l’arrêt.
Mais la voiture électrique présente aussi des désagréments. D’abord son prix qui est encore élevé. Son bilan environnemental n’est pas entièrement propre. Ce n’est pas une voiture totalement eco-friendly. Si le véhicule est déclaré à «zéro émission», ce ne sont que des «émissions locales». Pour fournir de l’électricité à la batterie, il faut bien la produire dans des centrales. L’essentiel vient des énergies fossiles, pétrole et charbon qui génèrent des émissions polluantes. Même pour notre pays -qui déploie des plans ambitieux pour les énergies renouvelables- leur part tourne, aujourd’hui, autour de 34%. Il y a ainsi des émissions, en amont et en aval, quand il s’agit de produire l’électricité pour fabriquer des batteries, pour les charger et pour les recycler en fin de vie. Quand il s’agit aussi du traitement du véhicule en fin de cycle.
Par ailleurs, la question de l’autonomie reste fondamentale. Le souci de «recharger» pour rouler sur de longues distances est toujours un obstacle mental. Quelles que soient les garanties données, il y a encore des blocages d’ordre psychologique. La crainte des limites aux déplacements est aggravée par le fait que les bornes de recharge ne couvrent pas tout le territoire, notamment dans les pays du Sud.
L’électromobilité au Maroc
Au Maroc, les véhicules hybrides ou électriques (à peine quelques centaines) représentent près de 3% du marché national. La raison en est d’abord le prix. De plus, les motivations écologiques et les questions liées à la pollution ne sont pas aussi urgentes que dans les pays pollueurs massifs.
Les hésitations sont aussi liées à l’insuffisance des bornes qui se trouvent surtout sur l’axe Tanger-Marrakech. Le moteur thermique reste le premier choix des Marocains, car il est fortement inscrit dans les habitudes. Par ailleurs, il n’y a pas d’incitations ou de subventions publiques pour que les prix soient abordables. Les modèles importés sont fortement taxés.
Les distributeurs ne cessent de communiquer autour de l’inéluctabilité de la transition vers le véhicule électrique, mais pour le moment, les chiffres restent faibles.
Il faut aussi souligner que le secteur de l’industrie de l’automobile électrique au Maroc a connu des investissements importants avec à la clé des milliers d’emplois suite à des partenariats avec de grands constructeurs mondiaux. Il a été accompagné par un développement de la recherche menée également par des cadres marocains à fort potentiel. Le secteur est aussi marqué par des projets de gigafactory pour la fabrication de batteries au lithium. Il est aussi prévu une ligne de production d’une nouvelle génération de bornes intelligentes à Benguérir, prévoyant la fabrication de 5.000 unités par an.
La production des petits modèles électriques au Maroc (Citroën Ami et Opel Rocks-e) est essentiellement destinée à l’exportation et connaît un grand succès.
Même si l’électromobilité n’est pas vraiment à l’ordre du jour chez nous, le Maroc est en en train de relever le pari de s’inscrire dans la cartographie mondiale de la production des véhicules électriques.
Un débat international avec des engagements fermes, mais aussi des revirements
Au-delà de la taille des pays, le débat est aujourd’hui planétaire. Quelle suite faut-il donner à l’ingénierie de la voiture électrique? L’Europe a semblé avoir pris des engagements fermes pour abandonner le moteur thermique à l’horizon 2035.
Or après l’euphorie et l’enthousiasme, des voix dissonantes se sont interrogées en Europe sur l’intérêt du passage au tout électrique. Le débat est devenu contradictoire au sein même des pays industrialisés, les plus pollueurs et les plus motivés pour la transition écologique.
Rappelons que le Parlement européen avait voté, le 8 juin 2022, une décision historique portant sur l’interdiction de la vente de voitures neuves thermiques (essence, hybride et hybride rechargeable) à partir de 2035. Cette décision faisait partie de ce qu’ils ont appelé un «plan climat». Les pays européens se sont engagés à abandonner la filière thermique, y compris les modèles hybrides. Il fallait à tout prix faire vite pour maîtriser les résistances et inciter l’industrie automobile à accélérer le rythme de la transition. Suite à cette première décision, le Parlement européen a approuvé, le 14 février 2023, par 340 voix sur 640 un projet de réglementation symbolique pour les objectifs climatiques en Europe afin de mettre fin à la vente de voitures neuves à moteur thermique.
Coup de théâtre
Or, moins d’un mois après l’approbation de ce projet de réglementation, l’Allemagne et l’Italie ont reculé et exprimé leur refus. Le gouvernement allemand souhaite protéger ses constructeurs qui développent la recherche sur un «carburant synthétique» moins polluant afin de «sauver le moteur thermique».
L’Italie avait également exprimé des réserves, bien avant l’Allemagne, sur le tout électrique. L’Italie s’est inquiétée du temps d’adaptation très court et de la menace de pertes d’emploi. Plusieurs pays de l’Europe de l’Est ont rejoint l’Allemagne et l’Italie. Tchéquie, Hongrie, Pologne, Roumanie, Slovaquie s’opposent désormais à l’interdiction des voitures thermiques à partir de 2035.
Il y a sept mois, en novembre 2022, Thierry Breton, le commissaire européen chargé du Marché intérieur -«prévoyant ou prudent»- avait «insisté pour qu’une clause de revoyure (réexamen de disposition dans les textes juridiques) soit adoptée pour 2026» afin de reporter l’échéance de 2035.
Selon lui, il y aurait des risques importants de perte d’emplois dans un contexte de prix élevés des véhicules. Il y aurait aussi, toujours selon ses dires, des problèmes liés à l’alimentation en électricité des voitures et des bornes… et surtout une dépendance vis-à-vis de la Chine. Cette position a été également partagée par le ministre français des Transports.
Tous les observateurs estiment que les avancées impressionnantes et qualitatives de la technologie chinoise en mobilité électrique (déjà un immense marché de 5 millions de véhicules, la possession des matières rares pour la fabrication des batteries dont certaines assurent 900 km d’autonomie!) constituent un sérieux défi pour l’écosystème automobile européen, ses milliers de PME et les 13 millions de personnes qui y exercent. Le succès anticipé et redouté en Europe des véhicules électriques chinois de qualité avec des prix raisonnables a fait reculer les constructeurs européens.