Alors qu’il a déjà considérablement augmenté son niveau d’endettement depuis le début de la crise sanitaire, le Trésor est toujours aussi gourmand. Son appétit pour la dette va même crescendo, à en croire une note récente d’Attijari Global Research (AGR), qui souligne que, d’ici la fin de l’année 2020, les besoins de financement du Trésor sont toujours aussi «conséquents», en raison des pressions significatives sur les finances publiques de l’Etat. AGR en veut pour preuve qu’à fin octobre, le taux de réalisation du déficit budgétaire s’élevait à peine à 61% par rapport aux estimations de la loi de Finances rectificatives 2020 contre 95% en octobre 2019.
Selon les estimations d’AGR, les besoins de financement du Trésor sur les deux derniers mois de l’année frôlent les 46 milliards de dirhams; un montant sans commune mesure avec les levées du Trésor en temps normal. Sur le seul mois de novembre, le Trésor a levé sur le marché local près de 24 milliards de dirhams, par rapport à un besoin annoncé initialement de 15,3 milliards de dirhams. Il s’agit, toujours selon AGR, de la plus forte levée mensuelle en 2020. Ce montant est sept fois supérieur à la levée d’octobre et représente plus du double de la moyenne annuelle des levées. En d’autres termes, le Trésor a un appétit d’ogre, que les milliards levés jusqu’ici ne parviennent pas à rassasier.
Le problème est que ces milliards coûtent plus cher depuis quelques semaines. En effet, les dernières adjudications du Trésor sur le marché intérieur se sont toutes soldées par une hausse des taux obligataires primaires. Autrement dit, les taux d’intérêt auxquels emprunte le Trésor augmentent.
«La dernière adjudication du Trésor du mois de novembre 2020 reflète la poursuite de la tendance haussière des taux obligataires primaires amorcée il y a moins d'un mois», écrit AGR. Cette séance révèle même une accélération de ce trend haussier avec des hausses significatives des taux, particulièrement pour le segment long terme.
Lire aussi : Dette publique: la «règle d’or» transgressée, Benchaâboun s’explique
Les taux de rendement des maturités 2 ans, 10 ans et 20 ans se sont appréciés de 21, 24 et 20 points de base respectivement, signant ainsi des plus hauts annuels. Au terme de cette séance d’adjudication, la maturité 20 ans est même passée au-dessus du seuil symbolique des 3% pour s’établir à 3,1%.
«Face au creusement du déficit budgétaire, les prêteurs exigent du Trésor une prime de risque plus élevée. C’est normal», nous explique un analyste.
Plus récemment, lors de l’adjudication du 1er décembre, séance qui a permis au Trésor d’emprunter 5,5 milliards de dirhams à court terme, les taux d’intérêt ont enregistré une nouvelle hausse de 10,4 points de base sur l’échéance 2 ans, atteignant un plus haut annuel de 2,18%.
Cette hausse des taux sur le marché primaire n’est pas sans produire des pressions sur le coût de la dette. Le risque étant que la hausse de l’encours de la dette, couplée à la hausse des taux, ne deviennent insoutenable si une telle situation venait à se prolonger.
Recours aux prêts bilatérauxCertes, pour le ministre des Finances Mohamed Benchaâboun, il n’y a pas péril en la demeure. A la Chambre des conseillers, l’argentier du Royaume a affirmé que la hausse de la dette du Trésor qui devrait atteindre 76% du PIB en 2020 n'aura pas «un grand impact» sur la soutenabilité de la dette. «Les indicateurs du coût et des risques y afférents restent à des niveaux sûrs et maîtrisés», soutient le ministre.
Il n’empêche que la dégradation des conditions d’emprunts du Trésor, que ce soit sur le marché domestique, ou sur le marché international (la dégradation de la note de la dette souveraine du Maroc auprès de l’agence Fitch devrait engendrer une hausse sensible de la prime de risque lors de la prochaine sortie du Trésor à l’international), incite le gouvernement à solliciter davantage les prêts bilatéraux, notamment les prêts d’Etat à Etat, réputés moins contraignants que les levées brutes sur les marchés.
Lire aussi : Le Covid-19 a coûté 11,1 points de PIB au Trésor
Il n’est pas anodin d’ailleurs de constater que, le 2 décembre dernier, le Maroc a sécurisé un emprunt de 1,38 milliard d’euros auprès du gouvernement allemand, dont 202,6 millions d’euros sous forme de dons. Le même jour, le Japon a octroyé un prêt de 200 millions d’euros au Maroc pour soutenir les efforts du gouvernement en matière de lutte contre la pandémie du covid-19.
Vendredi 4 décembre, la Banque mondiale a à son tour approuvé une enveloppe budgétaire de 400 millions de dollars destinée à soutenir le système de protection sociale au Maroc. Et il y a fort à parier que le recours aux prêts bilatéraux ne devrait pas faiblir dans les prochains mois, estiment plusieurs experts, notamment, soulignent l'un d'entre eux, auprès des pays du Conseil de coopération du Golfe (CCG).
L’allégement des pressions sur la dette du Trésor pourrait provenir également d’une baisse du directeur de la Banque centrale, le 15 décembre prochain. Une telle action de la part du Conseil de la Banque centrale serait, selon les spécialistes, de nature à freiner l’orientation haussière des taux sur le marché obligataire. De ce point de vue, les observateurs économiques ont déjà les yeux rivés sur la réunion du 15 décembre et sur l’attitude d’Abdellatif Jouahri, Wali de Bank Al-Maghrib.