Sous le gouvernement Akhannouch, les IDE à leur plus bas niveau depuis 19 ans

En 2023, les investissements directs étrangers au Maroc ont reculé de 53% par rapport à l'année précédente, pour s'inscrire à leur plus bas niveau depuis 19 ans.

Extrêmement préoccupante, la chute spectaculaire des investissements directs étrangers (IDE) en 2023 interroge la capacité du gouvernement actuel à inverser la tendance et à remettre la destination Maroc dans les radars des investisseurs internationaux.

Le 15/07/2024 à 08h00

Le chef du gouvernement Aziz Akhannouch a beau multiplier les réunions de la Commission nationale des investissements, les projets approuvés, auxquels l’État accorde des subventions colossales aux frais du contribuable, tardent à porter leurs fruits.

Alors que le chômage continue de battre des records, voilà que l’économie marocaine est frappée par le recul significatif des investissements directs étrangers (IDE), à seulement 1,09 milliard de dollars en 2023, soit leur niveau le plus bas depuis 19 ans. Il faut en effet remonter jusqu’au début des années 2000, quand le Maroc sortait tout juste de la phase du Programme d’ajustement structurel (PAS), pour retrouver un volume inférieur à celui réalisé l’année dernière.

Réagissant récemment au bilan de mi-mandat présenté par l’exécutif devant le Parlement, l’économiste en chef du Parti justice et développement (PJD) et ancien ministre du Budget, Driss El Azami El Idrissi, impute pour sa part cette chute des IDE au caractère «compliqué», voire «illisible», de la tant vantée nouvelle Charte de l’investissement.

Autre formation de l’opposition, le Parti du progrès et du socialisme (PPS) a pointé quant à lui le retard pris dans l’amélioration des indicateurs de «Doing Business», qui reflètent le climat des affaires et l’attractivité d’une économie pour les investisseurs. «Votre gouvernement a échoué à attirer davantage d’investissements directs étrangers, qui ont diminué de 53% en 2023 (…) Vous avez échoué à assainir le climat des affaires et à en extirper les pratiques illégitimes», lit-on dans la lettre ouverte du bureau politique du PPS adressée au Chef du gouvernement le 21 mai dernier. «En effet, notre pays a reculé en 2023 de trois places dans l’Indice de perception de la corruption, se classant au 97ème rang sur 180 au niveau mondial. L’Indice de liberté économique a également baissé à 56,8 (en dessous de la moyenne mondiale qui est de 58,6), plaçant notre pays à la 101ème place sur 184 pays», assène le document des ouailles de Nabil Benabdallah.

Et d’enfoncer le clou en accusant le gouvernement de multiplier les effets d’annonces sans suites concrètes. «Quant aux projets aux budgets astronomiques approuvés par le Comité des investissements que votre gouvernement ne manque pas d’annoncer en fanfare à l’opinion publique, nous ne relevons aucune évaluation réelle et transparente de leur réalisation effective et nous constatons qu’ils sont peu productifs en termes de création d’emplois», assène la lettre ouverte du PPS.

Moins catégorique, l’économiste Nabil Adel, interrogé par Le360, met en avant trois principaux facteurs, hormis la crise du Covid-19, pour expliquer la baisse des IDE observée depuis 2019. «Cela marque la fin d’un cycle porté par les différents plans sectoriels à partir de 2005. Un cycle qui n’a pas été relayé par de nouveaux moteurs de croissance», souligne-t-il.

Un contexte régional et global défavorable?

De même, il note une baisse de l’attractivité du Maroc en matière d’IDE en raison d’une perte de l’avantage du coût faible de la main-d’œuvre, à la suite des «fortes augmentations du SMIG» décrétées ces dernières années par le gouvernement, «sans qu’elles soient accompagnées d’une hausse correspondante de la productivité». Enfin, notre interlocuteur évoque la fin de la parenthèse des turbulences dans la région, à mesure que des pays comme l’Égypte et la Tunisie retrouvent leur stabilité et donc leur attractivité pour les IDE.

Sans contredire ces explications, l’économiste Mohamed Jadri avance pour sa part d’autres facteurs qui seraient à l’origine du repli des IDE en 2023, et ce, non seulement au Maroc, mais aussi dans le monde entier.

Au manque de visibilité lié aux tensions géopolitiques récentes (guerre en Ukraine, la crise de la mer Rouge, la guerre à Gaza) s’ajoute la vague inflationniste sans précédent qui a provoqué une flambée des prix des matières premières à l’échelle internationale. «Bon nombre de banques centrales ont augmenté le taux directeur jusqu’à atteindre 5% voire 6%, compliquant davantage l’accès au financement pour les investisseurs», explique-t-il.

Attractivité territoriale

Pour autant, ces éléments de conjoncture, souvent à caractère exceptionnel, ne sauraient à eux seuls suffire pour expliquer le maigre bilan du gouvernement sur le terrain des IDE. «Les flux d’IDE en direction du Maroc ne représentent que 0,12% du total mondial. Le problème est qu’ils ne sont pas diversifiés de par leurs origines, vu que 80% de ces investissements proviennent de l’UE, particulièrement de la France et de l’Espagne», souligne d’abord Abdelghani Youmni, économiste et spécialiste des politiques publiques, avant de pointer ce qu’il estime être les carences du Maroc en tant que terre d’accueil des IDE. «La corrélation entre IDE, croissance et emploi ne peut être significative que si le pays d’accueil dispose d’un écosystème robuste incluant capital, capital humain, progrès technique et pépinières universitaires de l’innovation et de la R&D», énumère-t-il.

Les élus et les régions, des VRP de l’investissement

En outre, Abdelghani Youmni insiste sur le rôle des élus et des présidents des régions, appelés à devenir de véritables VRP de la défense de leur quote-part dans la création de richesse sur le plan national. Cela a été prouvé, illustre-t-il, avec le décollage vertigineux de la Californie grâce au leadership de Gray Davis, de la combativité démontrée par Ségolène Royal pour la transformation économique de la région Poitou-Charentes ou encore par les sprints de Carole Delga pour faire de l’Occitanie le territoire qui attire les plus d’IDE en France.

«Le rôle des élus est de construire des arguments factuels et de devenir les ambassadeurs de l’intelligence économique des territoires, en allant chercher des IDE, en mobilisant tous les acteurs économiques, culturels, politiques et sociaux dans cette bataille. Un président de région ne doit surtout pas se confondre avec un bureaucrate ou un haut fonctionnaire», soutient Abdelghani Youmni.

Par Wadie El Mouden
Le 15/07/2024 à 08h00