Sous un énorme chapiteau dressé à l’occasion de la 7e Semaine nationale de l’artisanat, qui se tient dans la ville ocre du 5 au 7 décembre 2022, moult stands exposent de somptueux tapis et autres kilims sous le regard admiratif des connaisseurs au Marrakech Carpet Fair, espace entièrement dédié à ces tissages faits main. Drôle d’endroit où le négoce se fait sans marchands de tapis, et où les venture capitalists et investisseurs s’affirment comme porte-voix du hand made.
Mais cela renseigne sur une tendance structurelle d’un marché qui tend à gagner en flexibilité pour répondre à la volatilité de la demande. «L’artisan n’est pas outillé pour répondre à la demande mondiale, d’où la présence de ces sociétés commerciales qui permettent aux maîtres artisans et maâlem d’écouler leurs produits», se défend un intermédiaire. En dépit des chocs inflationnistes, le secteur a généré d’après Fatim-Zahra Ammor, ministre du Tourisme et de l’Artisanat et de l’Economie sociale et solidaire, un volume d’affaires global de 140 milliards de dirhams en 2021.
Les réalisations consolidées du secteur sont, toutefois, à distinguer de la réalité sociale, en particulier, des détenteurs du savoir-faire local. Un nombre incalculable d’artisans de la ville ocre ont abandonné leur métiers pour vaquer à d’autres activités pendant la pandémie. Ils sont aujourd’hui gardiens de voiture, ouvriers de chantier, vigiles… Contactée par Le360, la chambre régionale de l’artisanat de Marrakech affirme n’avoir aucune idée du nombre d'emplois vacants dans la région.
«C’est un secteur ingrat. J’ai travaillé pendant 25 ans, et je n’ai bénéficié d’aucune couverture sociale. Raison pour laquelle j’ai décidé de bifurquer», témoigne Jamal, dinandier qui a fini par se reconvertir en agent de sécurité. Pour les maîtres artisans, c’est une perte inestimable pour le know-how traditionnel auquel il sera difficile de trouver une relève aussi compétente et dévouée.
Si à l'unanimité, les opérateurs du secteur de l'artisanat s'accordent à dire que le contexte sanitaire marque un point de non-retour, affirmer que ses déboires actuels sont imputables au Covid-19 est une lecture injustement simplificatrice de la réalité. Car, à l’époque antérieure à la pandémie, quelques signes avant-coureurs annonçaient déjà la couleur.
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La mise en œuvre du contrat programme 2006-2015 par exemple, ayant pour mission, d'accompagner les «acteurs de référence» en vue de promouvoir le «made in Morocco» et permettre, en bout de chaîne, un ruissellement vers les petits artisans n’a profité qu’aux importateurs de produits made in China. «La médina abonde de gandouras et babouches fabriquées en Chine et qui sont très accessibles par rapport aux produits marocains», témoigne un maître-artisan marrakchis.
«Il faut travailler pour mettre en place un système qui garantit la juste part pour l’ensemble des acteurs de la chaîne, y compris les artisans. C’est d’ailleurs l’un des enjeux de cette semaine de l’artisanat», nous confie Tarik Sadik, directeur général de la Maison de l’artisan. Enjeu majeur pour un secteur qui emploie pas moins de 2,4 millions de personnes et qui représentent, selon Mohamed Msellek, secrétaire général du ministère du Tourisme, de l'Artisanat et de l'Economie sociale et solidaire, près «de 22% de la population active occupée du Maroc et participe à hauteur de 7% dans le PIB national».