Alerte Retraite! Tout récemment, le Conseil économique, social et environnemental (CESE) a rappelé l'urgence d'entamer le vaste chantier de la réforme des retraites. Un gros morceau auquel le gouvernement Akhannouch ne semble pas pressé de s'attaquer. Pourtant, il y a bien péril en la demeure: on le sait depuis des lustres, et la situation ne fait que se dégrader d'année en année.
C'est en 2003 déjà que la réforme des régimes de retraite a été inscrite pour la première fois à l’ordre du jour du dialogue social, alors que l'épuisement des réserves des caisses paraissait comme une fatalité. Le chantier est alors pris très au sérieux par le Premier ministre (à l’époque Driss Jettou), qui forme une commission nationale pour étudier les différents scénarii de réforme.
Entre commissions et étudesSauf qu'en deux décennies, cette commission n’a toujours pas abouti à une refonte profonde de ce dispositif au cœur de la solidarité intergénérationnelle et qui constitue toujours une source d’inquiétude pour l’ensemble des acteurs.
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Plusieurs études avaient été commandées afin de dresser la feuille de route de ce processus. Après celles réalisées par Actuaria et par le BIT, la dernière en date a été confiée à Finactu. Le cabinet avait remporté un appel d'offres, lancé par le ministère des Finances en 2019, consistant à proposer un état cible du système de retraite, autour de deux pôles: l'un dédié au secteur public et l'autre au secteur privé avant une convergence des deux systèmes. «Les conclusions de cette étude étaient prévues pour 2020 déjà, mais pour le moment rien n'a été rendu public de la part du comité de pilotage censé suivre les différentes phases de cette réforme», nous explique un responsable d'une caisse de retraite.
A l’heure actuelle, le cabinet aurait déjà dû livrer une première partie consistant en un audit législatif ainsi que des études actuariales des différents régimes de retraite. Et il leur reste encore le plus dur, dont les scénarii de conception technique des pôles public et privé composant le système cible.
Régimes en failliteCelui-ci est censé remplacer les caisses actuelles dont la plupart sont en déséquilibre depuis plusieurs années. Les derniers chiffres de l'Autorité de contrôle des assurances et de prévoyance sociale (ACAPS) font ressortir un déficit technique global pour les régimes obligatoires qui se creuse à 10,8 milliards de dirhams. Pour la seule Caisse marocaine des retraites (CMR), cette différence entre les cotisations et les prestations affiche un déficit de 7,4 milliards. C'est que le rapport démographique de ce régime -qui gère les retraites des fonctionnaires– est alarmant: à peine deux actifs cotisants pour un retraité.
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Le Régime collectif des allocations de retraites (RCAR) n'affiche pas meilleure mine non plus: son rapport démographique est de 2,2 actifs pour un retraité, alors que son déficit technique est de 2,6 milliards de dirhams. Les études actuariales de l'ACAPS lui prédisent un déficit global dès l'année prochaine. Autrement dit, ses revenus financiers ne suffiront plus à combler son déficit technique ni à couvrir ses charges de fonctionnement.
Même la Caisse nationale de sécurité sociale (CNSS) qui s'en est jusqu’ici sortie à bon compte voit son équilibre financier se dégrader. Entre 2016 et 2020, le nombre des actifs cotisants a relativement stagné, alors que près de 150.000 bénéficiaires additionnels de pensions ont été enregistrés sur cette période. Le solde global de la CNSS, aujourd'hui à peine positif, devrait virer au rouge dès 2027, selon les projections de l'ACAPS.
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Une situation d’autant plus préoccupante que la Caisse dirigée par Hassan Boubrik a un grand défi à relever durant les prochaines années. Le chantier titanesque qu'est la généralisation de la couverture sociale inclut comme composante une extension du nombre des retraités. Cinq millions d'adhérents devraient venir grossir les rangs des adhérents aux régimes de retraite à horizon 2025. Il s'agit de personnes recensées comme exerçant une activité, mais ne bénéficiant d'aucune pension. L'Etat a même estimé un budget de 16 milliards de dirhams pour cette composante, sur les 52 milliards dédiés à la protection sociale.
Réforme de fondLa préparation d'un tel chamboulement suppose une série de mesures préparatoires préalables, qui demeurent indispensables pour réussir la réforme globale escomptée. Le CESE avait d'ailleurs déjà émis une série de recommandations tant sur le plan de la gouvernance que sur le plan du financement. A titre d'exemple, il préconise de «consacrer deux à quatre points de la TVA au financement de la protection sociale, y compris les régimes de retraite».
Il s'agit entre autres d'une mesure qui nécessite énormément de courage politique, sur un dossier délicat qui fait souvent l'objet d'âpres négociations avec les partenaires sociaux.
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A ce jour, mêmes les quelques réformes paramétriques accessoires passent dans la douleur. Celle adoptée à la fin du mandat de Abdelilah Benkirane, en 2016, avait pourtant permis de différer l'épuisement des réserves de la CMR d'une dizaine d'années, notamment grâce à un pack législatif portant sur les paramètres de cotisation au régime des pensions civiles et militaires, mais aussi sur l'âge de départ à la retraite des fonctionnaires.
Déjà à cette époque, le gouvernement estimait que les retards d'adoption de cette réforme, qui était en négociation depuis 2014, avait coûté dans les dix milliards de dirhams. Et il présentait cette révision comme un simple préalable à une réforme plus vaste pour migrer vers ce système à deux pôles (public et privé) pour enfin aboutir, sur le long terme, à un système unifié. Pour cela, il faut que le gouvernement se lance dans ce chantier aussi impopulaire que nécessaire. Et cette fois-ci, des mesures qui feraient office de simples pansements ne sauraient suffire. Il y va des pensions actuelles ou futures de quelque 10 millions de Marocains…