La décarbonation est devenue un maillon essentiel de la chaîne de valeur industrielle dans le monde. Le secteur du textile et de l’habillement n’y échappe pas. Ces dernières années, une filière y tisse particulièrement sa toile: le recyclage textile. Il s’agit de la fabrication de vêtements à partir de déchets textiles pré-consommation et post-industriels générés par la production des chutes de coupe, des produits de seconde qualité, etc. Aujourd’hui, ce secteur attire de plus en plus les grandes marques internationales mais également les investisseurs.
Dernière preuve en date de cette tendance: la signature d’un accord de coopération, le 18 avril à Rabat, entre le ministère de l’Industrie et du commerce, l’Association marocaine de l’industrie du textile et de l’habillement (AMITH) et la Société financière internationale (SFI). Cette convention vise à soutenir la transition vers des modèles de production circulaires dans le secteur du textile et de l’habillement, et à atteindre les objectifs du programme de décarbonation du gouvernement marocain.
En vertu de cet accord, la SFI s’engage aussi à encourager les marques internationales à s’approvisionner au Maroc et à fournir des financements à des producteurs mondiaux de tissus pour qu’ils développent leurs activités dans le Royaume. L’accord, qui s’étend jusqu’au 30 juin 2026, est reconductible si les parties le souhaitent.
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Le même 18 avril, la société espagnole Reciclados a annoncé le lancement d’une unité de recyclage de déchets textiles à Tanger, fruit d’un partenariat avec le ministère de l’Industrie et du commerce et la SFI. L’usine, qui sera implantée dans la zone industrielle de Gzenaya, et dont le coût est estimé à 695 millions de dirhams, va fabriquer des fils, tissus et vêtements à partir de déchets textiles recyclés de pré et post-consommation. A la clé: la création de près de 6.245 emplois directs et indirects à terme.
Si cette filière suscite autant d’engouement auprès des investisseurs internationaux, c’est parce que le Maroc dispose d’un énorme potentiel en la matière. L’Organisation des Nations unies pour le développement industriel (ONUDI) le confirme dans une étude publiée en 2021, axée sur le potentiel de recyclage des fibres textiles à partir de déchets pré-consommation de l’industrie marocaine du textile et de l’habillement (ITH).
Cette évaluation, réalisée en collaboration avec l’entreprise italienne Blumine, entre dans le cadre de son projet SwitchMed/Med Test III, mené depuis 2020 au Maroc, en Tunisie et en Egypte, en collaboration avec les ministères de l’Industrie et de l’Environnement et des marques de modes internationales. On y apprend que l’industrie marocaine du textile génère chaque année 83.200 tonnes de déchets, dont 66.500 tonnes recyclables. Plus de la moitié de ces rejets (56%) contiennent 100% de coton ou sont riches en coton.
Classification des déchets textiles au Maroc par fibre, procédé et sous-secteur
Source: ONUDI et Blumine.
D’après cette étude réalisée auprès de 46 entreprises au Maroc, en partenariat avec l’AMITH, plus de 75% des déchets textiles proviennent des régions du Grand Casablanca et de Tanger. Ce qui est tout à fait compréhensible puisque ces deux pôles concentrent entre 70 et 80% des entreprises qui opèrent dans l’ITH au Maroc. «La fabrication de textiles et de prêt-à-porter nécessite d’importantes ressources et génère des volumes sans précédent de déchets et d’effluents. Dans le même temps, l’offre de ressources est limitée et menacée par une pénurie mondiale et une forte volatilité des prix», indique le rapport, soulignant que
Casablanca en particulier regorge d’opportunités en la matière. Ses déchets textiles représentent environ la moitié de ceux générés dans la région, soit environ 22.000 tonnes par an. «Avec un taux de tri de 80% et une utilisation de la capacité de l’installation de broyage de 75%, (...) il existe un potentiel de huit lignes de broyage dotées d’une technologie moderne et de pointe: sept fonctionnant à 75% de leur capacité et une à 58%», indique l’étude.
Pour bénéficier de la valeur ajoutée de cette économie circulaire, un travail minutieux s’impose. Selon l’ONUDI, les flux de déchets textiles doivent être classés et organisés en fonction du type et de la qualité pour mieux les recycler à l’échelle industrielle, sans compromettre la qualité et les coûts. «Développer une chaîne de valeur locale pour le recyclage des fibres textiles permettrait au Maroc de créer de nouvelles opportunités économiques et contribuerait à répondre à la demande mondiale croissante de tissus recyclés», souligne l’agence onusienne.
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Mieux, «cela constituerait également une occasion unique de conserver la valeur des déchets textiles en tant que ressource pour l’industrie locale et de réduire sa dépendance vis-à-vis des importations coûteuses». Suite à l’évaluation de ce potentiel, l’ONUDI et Blumine sont en train de développer deux projets pilotes au Maroc, dont l’un avec le fabricant marocain Evlox et l’autre avec l’entreprise Novimat-Casafibre. Ces programmes avancent bien et les résultats devraient être communiqués prochainement, selon nos informations.
Un marché mondial en croissance
Pour les entreprises marocaines du textile et de l’habillement, le recyclage apparaît comme un bon filon pour doper leurs exportations, en particulier vers l’Union européenne. En effet, le pacte vert de l’Europe exigera que les produits textiles importés dans la zone soient fabriqués à partir de fibres recyclées.
L’autre facteur encourageant, c’est le développement de ce secteur au niveau mondial. Dans un rapport sur les tendances du marché de l’industrie du textile, la société d’études de marché Imarc révèle que la taille du marché mondial du recyclage des textiles a atteint 5,2 milliards de dollars en 2022.
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Ce marché devrait par ailleurs afficher un taux de croissance de 2,85% entre 2023-2028 pour atteindre 6,1 milliards de dollars à la fin de cette période. «La demande croissante de textiles recyclés est principalement motivée par les préoccupations environnementales croissantes concernant l’impact néfaste de l’incinération des déchets, les rejets industriels lourds des usines de textile et l’épuisement des matières premières telles que la soie, la laine, etc.», précise le document.
D’après Imarc, le recyclage des textiles offre également plusieurs avantages environnementaux et économiques, tels que la réduction de la pollution des sols et de l’eau, la réduction de la dépendance aux fibres vierges, la réduction de l’utilisation de colorants chimiques et une consommation optimale d’énergie et d’eau.