Lors de son exposé sur le bilan d'exécution de la loi de finances 2021 et les perspectives d'élaboration du PLF 2022, Mohammed Benchaaboun, ministre de l’Economie, des Finances et de la Réforme de l’administration, a indiqué, jeudi 27 juillet 2021, que les horizons de croissance devraient s'améliorer pour atteindre 3,2% en 2022.
Au Maroc et dans le monde, l’année 2021 resterait fortement marquée par la crise sanitaire et le stop and go des contaminations, sous l’effet de l’apparition et la propagation de nouveaux variants. Cependant, la montée en puissance de la vaccination laisse entrevoir une reprise de l’activité en 2022.
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Pour Abdelghani Youmni, économiste et spécialiste des politiques publiques, la trajectoire du PLF 2022 devrait en principe inclure des mécanismes de reprise et de soutien à la croissance économique, d’accélération de la substitut-importation, de création d’emplois dans le privé, de leviers de solidarité financés par la montée en puissance des cotisations sociales et des recettes d’impôts fruit de la réforme fiscale.
"Le PLF 2022 appuiera sans doute l’investissement privé, le partenariat public-privé et multipliera les avantages comparatifs pour attirer des investissements directs étrangers et davantage de chaînes de valeur globale pour ouvrir de nouveaux couloirs commerciaux. On devrait y trouver également des mesures de préservation de la liquidité, la solvabilité et des emplois des entreprises industrielles", explique-t-il.
Même son de cloche chez Youssef Guerraoui Filali, président du Centre marocain pour la gouvernance et le management (CMGM), qui rappelle que le PLF 2022 est préparé dans un contexte très particulier, marqué par la dégradation de la situation sanitaire (hausse des cas positifs, nombre élevé de patients en réanimation…), ainsi que l’expiration du mandat du présent gouvernement en marge des présents préparatifs aux élections.
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L’exercice budgétaire au titre de l’année 2022 est en quelque sorte perturbé puisque c’est le pouvoir exécutif sortant qui a lancé et engagé le processus budgétaire d’adoption du PLF de son successeur, estime Youssef Guerraoui Filali.
"Le PLF 2022 veillera, essentiellement, à la préservation des équilibres macroéconomiques de l’Etat, à part quelques mesures qui viseront à soutenir l’économie marocaine, plus particulièrement l’entreprise nationale, à travers des aides directes aux secteurs sensibles à la pandémie, des exonérations de l’IR pour les jeunes diplômés ou les nouvelles recrues. Mais, il s’agit aussi de financer les dépenses ordinaires de l’Etat afin de garantir la bonne marche des services publics, sans oublier l’énorme poids financier de la présente campagne de vaccination anti-Covid", ajoute-t-il.
S’agissant des mesures fiscales prioritaires qui, en principe, devraient être introduites par le PLF 2022, Abdelghani Youmni fait observer que le Maroc devrait révolutionner son paradigme de redistribution, de collecte de l’impôt et des cotisations sociales. Et ce, afin de triompher sans fractures contre l’industrie de la fraude fiscale et de l’informel et bâtir un modèle régional unique d’équité sociale.
"En toute logique, le Royaume s’engage sur une réforme quinquennale de 2020 à 2024 avec une loi-cadre construite autour de cinq piliers: atteindre la justice fiscale et la justice devant l’impôt, renforcer la confiance entre débiteurs et administration fiscale, mobiliser les recettes fiscales pour financer les politiques publiques, renforcer le système des redevances collectrices et parafiscales et enfin promouvoir la triade des 3 E du New Public Management: efficience, efficacité, effectivité. Il pourrait y avoir des dispositions afférentes à la régularisation fiscale des entreprises et des particuliers et non l’amnistie via des guichets uniques et des plates-formes dédiées", relève l'économiste.
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"L’exigence de justice fiscale est la colonne vertébrale de tout projet de justice sociale basé sur une meilleure répartition des revenus, des finances sociales et du patrimoine. C’est pour cet ensemble de vertus que les PLF 2020-2024 pourraient intégrer la mesure centrale de la loi –cadre de la réforme fiscale, celle de la confiance entre débiteurs et administrations. Rendre la fiscalité devoir civique et marqueur d’une citoyenneté solidaire, cela nécessitera de la pédagogie et paradoxalement une reddition des comptes en sens inverse et inhabituelle de la part de la puissance publique, celle qui se fait au profit du citoyen, qui, évidemment et sans équivoque, est actionnaire via l’impôt et la TVA dans tout investissement public", signale Abdelghani Youmni.
Pour Youssef Guerraoui Filali, le projet de loi-cadre sur la réforme fiscale devra garantir à moyen terme une équité fiscale devant l’administration marocaine.
"Il s’agit, entre autres, d’alléger la pression fiscale sur les ménages de la classe moyenne et d’élargir l’assiette d’imposition pour qu’elle puisse couvrir les plus aisés de la population. De ce fait, le PLF 2022 est le point de départ de ladite réforme. A titre d’exemple, il faut chercher à baisser le taux de la taxe sur la valeur ajoutée (principalement de 20%) impactant directement le pouvoir d’achat des citoyens".
"D’autres efforts peuvent être effectués en matière d'impôt sur le revenu, touchant une large population de salariés et fonctionnaires de la classe moyenne. Faire baisser le taux, par exemple, de deux points, améliorera tangiblement la capacité d’achat de plusieurs ménages, ce qui impactera positivement la demande intérieure. Par conséquent, l’effet budgétaire devra être anticipé en créant, en parallèle, d’autres recettes fiscales qui permettront de compenser le manque à gagner pour l’Etat, et ce, en vue de préserver l’équilibre budgétaire global entre recettes et dépenses ordinaires", argumente l’analyste chercheur.
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"S’agissant des entreprises, il faut innover en créant des abattements et des exonérations à destination des entreprises les plus responsables écologiquement parlant, en l’occurrence celles qui pratiquent de la RSE (responsabilité sociétale), en vue de pérenniser le développement durable. En parallèle, il faut mettre en place un impôt de société spécifique qui cible les entreprises nationales et transnationales qui réalisent des chiffres d’affaires très élevés au niveau national et même à l’export. L’idée est d’assurer un équilibre entre les recettes et les dépenses fiscales, et dans une logique de solidarité nationale et d’entraide économique", soulève Youssef Guerraoui Filali.
Les préparatifs du PLF 2022 coïncidant avec les échéances électorales, les deux économistes reviennent sur l'impact des élections sur le déroulement et sur le processus d'adoption de ce projet de loi de finances.
L’économiste Abdelghani Youmni note que la programmation budgétaire triennale (PBT 2022-2024), en application des dispositions de la loi organique des finances, stipule dans son article 5 que "la loi de finances de l’année est élaborée par référence à une programmation budgétaire triennale actualisée chaque année en vue de l’adapter à l’évolution de la conjoncture financière, économique et sociale du pays".
"La question pour la future majorité ne sera pas comment amender le PLF 2022, mais comment en sortir des effets macroéconomiques et sociaux de la crise sanitaire sur le pays en proposant des ajustements et des améliorations ponctuelles. Ce gouvernement et sa majorité doivent davantage penser le Maroc post-Covid, avec le seul scénario de faire réussir trois chantiers majeurs, celui de piloter le lourd vaisseau du nouveau modèle de développement, celui d’actionner la territorialisation économique et sociale du pays et enfin, celui de sortir par le haut à travers une réforme courageuse de l’éducation et de l’acquisition des compétences techniques, sociales et civiques afin de faire de notre dividende démographique un incubateur des richesses et non un nid de vulnérabilités", soutient-il.
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De son côté, Youssef Guerraoui Filali considère que le PLF de l’année N+1 qui coïncide avec l’organisation des élections législatives, ressortira de la loi de finances de l’année N, afin d’éviter toute perturbation dans le processus d’adoption.
"Il s’agit tout simplement d’une reconduction des grandes lignes budgétaires de l’année N vers l’année N+1, à part de légers changements dans les hypothèses (taux de croissance en liaison avec la pluviométrie, récolte, prix du baril…). Par conséquent, la loi de finances rectificative reste un instrument juridique fiable pour le futur gouvernement, s’il le juge nécessaire, et qui peut être utilisé courant l’année 2022".
"En outre, le PLF 2022 est préparé durant une année politique transitoire. Par conséquent, le futur gouvernement n’aura pas de grandes marges de manœuvre sur l’année budgétaire 2022, et qui est marquée par son installation effective puisqu'il faut compter au moins 3 mois, à partir du 1er septembre, entre l’investiture de la nouvelle coalition gouvernementale, la formation des deux chambres du Parlement, la présentation du programme gouvernemental et son vote de confiance devant les représentants de la nation. C’est donc le PLF 2023 qui traduira la véritable politique du nouveau gouvernement, puisqu’il sera préparé durant l’année 2022", conclut-il.