La création de monnaies numériques de banque centrale (MNBC) est devenue une nécessité pour favoriser l’inclusion financière et contrer la montée en puissance des crypto-monnaies. C’est l’un des messages phares de la table ronde de haut niveau sur cette thématique organisée, ce lundi 19 juin à Rabat, par Bank Al-Maghrib (BAM), en partenariat avec le Fonds monétaire international (FMI).
Ce rendez-vous économique sur le thème «Le rôle du secteur public dans la monnaie et les paiements - Une nouvelle vision», a été réhaussé par la participation de Abdellatif Jouahri, wali de Bank Al-Maghrib, et de Kristalina Georgieva, directrice générale du FMI. Deux grandes personnalités qui ont planté le décor durant le panel inaugural.
D’après le gouverneur de la Banque centrale, «l’intérêt que suscite cette problématique n’est que le reflet de la proactivité et de la capacité de nos institutions à s’adapter aux mutations et aux changements de paradigmes qui marquent leur environnement». Selon lui, le lancement d’une MNBC permettra de réduire l’importante circulation du cash, dont le taux est estimé à 30%, et d’augmenter l’inclusion financière qui atteint les 51% au Maroc.
Comité de réflexion sur la MNBC au Maroc
Le Maroc travaille depuis deux ans sur la MNBC. BAM a mis en place, depuis 2021, un comité de pilotage chargé de réfléchir sur un futur e-dirham. Deux ans plus tard, les choses avancent timidement. «Nous avons mis en place un groupe dédié qui est en train d’étudier la mise en place d’une monnaie de détail et de gros. Les innovations numériques nous imposent d’investir dans cette voie pour ne pas creuser davantage la fracture numérique», a déclaré M. Jouahri, sans donner plus de détails sur l’évolution de ce projet dans le Royaume.
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Il a également indiqué que des partenariats avec des pays comme le Canada et l’Autriche ont été conclus pour s’inspirer de leurs expériences dans ce domaine. Toutefois, «la réflexion pour une MNBC ne peut à être étrangère à nos missions centrales: politique monétaire, gestion monétaire et paiement», précise le Wali.
Pour Kristalina Georgieva, les banques centrales ont délaissé le terrain aux cryptomonnaies qui ont su profiter de ce vide pour accroître leurs transactions. D’où l’urgence d’accélérer la cadence. «C’est le moment d’intensifier les efforts et de prendre rapidement des décisions qui pourront nous permettre de limiter les risques de ces jetons spéculatifs», lance-t-elle. Et les institutions en sont conscientes. Aujourd’hui, «114 banques mondiales l’explorent. Dix sont presque arrivées à la fin de l’expérimentation. La Chine a même lancé une phase pilote avec 110 millions de participants», renchérit-elle.
Selon la DG du FMI, les MNBC pourraient faciliter l’inclusion financière, rendre les systèmes de paiement plus résilients et plus efficaces et surtout contribuer à réduire les coûts des transferts internationaux estimés à 45 milliards de dollars par an, un montant élevé notamment à cause des intermédiaires.
Les frais onéreux liés aux paiements transfrontaliers constituent un énorme fardeau pour la diaspora africaine qui envoie chaque année des milliards sur le continent. Le Maroc fait partie des premiers bénéficiaires en Afrique, avec plus de 109 milliards de dirhams envoyés par les Marocains résidant à l’étranger (MRE) en 2022, contre 93,6 milliards de dirhams en 2021 (ce qui était déjà un record), selon l’Office des changes. Soit une hausse de 16,5% par an et une contribution de 8% au PIB du Maroc en 2022.
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A en croire Abdellatif Jouahri, outre ces coûts exorbitants, la nouvelle directive bancaire européenne (CRD VI), qui devrait entrer en vigueur en 2025, est une raison supplémentaire pour accélérer la création d’une MNBC. En effet, ce texte prévoit l’interdiction pour les banques étrangères non établies dans l’Union européenne (UE) d’offrir des services bancaires du pays d’origine directement à leurs clients résidant dans un pays de l’UE.
D’ailleurs, par anticipation à cette directive bancaire, les régulateurs et banques centrales de plusieurs États européens ont suspendu l’activité d’intermédiation effectuées par les filiales des banques des États-tiers auprès de leur diaspora, pour le compte de leurs maisons-mères. Une fois en vigueur, cette loi entrainera un énorme manque à gagner pour les banques marocaines présentes sur le vieux continent, sachant que les dépôts des MRE dans ces établissements s’élevaient à 198,5 milliards de dirhams à fin 2022.
Plateforme mondiale des MNBC
Mettre en place des monnaies digitales c’est bien, favoriser une connectivité avec toutes banques mondiales, c’est encore mieux. «Si nous voulons que nos efforts soient couronnés de succès, il nous faut des systèmes qui connectent les MNBC dans différents pays. Le FMI est en train de travailler sur une plateforme mondiale qui facilitera cette interopérabilité bancaire et permettra de gérer les risques liés à cette devise numérique», révèle Kristalina Georgieva.
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L’ancienne présidente par intérim de la Banque mondiale en 2019 propose aussi une tokenisation des réserves des banques centrales pour accélérer la création des monnaies numériques et des partenariats entre les différents acteurs de l’écosystème bancaire. La tokenisation, basée sur la Blockchain, permet de valoriser et de matérialiser des actifs réels dans le monde digital. «Nous vivons des moments d’incertitudes qui nécessitent de l’agilité et la coopération. Si nous travaillons ensemble, nous allons relever ces défis», prédit-t-elle. Pour Jouahri, la création d’une MNBC s’impose, mais il faudra y aller avec prudence. Ce qu’il qualifie de «démarche du chameau». Autrement dit, consolider d’abord les acquis avant d’emprunter ce virage numérique.