Plus important marché mondial du miel, l’Union européenne est à la fois le deuxième producteur et un excellent client pour les pays tiers: les États membres, y compris les plus grands pays apicoles, ne satisfaisant pas les besoins de leurs consommateurs, importent plus de 40% du miel vendu sur le continent… Du miel, vraiment? Si la législation de l’UE respecte la définition du Codex Alimentarius -le miel est un produit naturel auquel aucune substance ne peut être ajoutée et dont aucune substance ne peut être extraite- en y ajoutant simplement une précision quant à l’espèce d’abeille qui produit du miel (l’Apis mellifera), on ne peut en dire autant des miels vendus en Europe, leur demande croissante ayant surtout ouvert la voie à toutes les fraudes, au détriment tant de l’apiculteur européen que du consommateur: les Européens pensent déguster du miel, et consomment un mélange de miels de l’UE et de pays tiers, des miels frelatés, coupés avec des sirops de sucre, importés à des prix déstabilisant le marché communautaire -et accélérant la crise d’un secteur apicole européen également fragilisé par la mortalité des abeilles. Les pays d’export? D’abord la Chine, premier producteur mondial, qui représente plus de la moitié des importations de miel de l’UE (entre 80.000 et 100.000 tonnes/an). Puis la Turquie. Et l’Ukraine, ayant réussi le tour de force depuis 2015 -année où l’Europe a offert à Kiev un quota annuel exempté de tout droit de douane- d’augmenter ses exportations au point qu’elles dépassent l’ensemble de sa production!
C’est un rapport du laboratoire officiel des institutions européennes, publié en mars 2023, qui va démasquer scientifiquement les «faux miels» venus essentiellement de Chine et de Turquie, et stopper le Honeygate de la décennie: 46% des échantillons prélevés aux frontières sont coupés avec des sirops de sucre à base de riz, de blé ou de betterave sucrière, utilisation d’additifs et de colorants, suppression des pollens pour fausser la traçabilité! De quoi convaincre finalement l’exécutif européen d’accéder aux demandes chroniques des apiculteurs? Des professionnels déjà soutenus par un Parlement européen «Beefriendly», qui invitait la Commission, dans un rapport d’initiative de 2018, à ouvrir une enquête sur les pratiques des exportateurs chinois, et demandait que la mention «mélange de miels originaires et non originaires de l’UE» sur l’étiquette soit remplacée par une indication précise des pays de provenance des miels utilisés et que ces pays soient énumérés dans l’ordre correspondant aux proportions en pourcentage utilisées dans le produit final. Des producteurs parfois entendus dans leurs pays, séparément -Italie et Grèce précurseurs sur les mentions d’origine pour les miels intracommunautaires; Portugal, France et Espagne portant, en 2019, un projet semblable de principe d’étiquetage des origines- et collectivement, en 2020, via un appel à l’aide de la COPA-COGECA, cosigné par seize États membres… une année où le miel chinois se négociait à 1,24 €/kg, contre 3,90 €/kg en moyenne en Europe!
C’est finalement début 2024 que les décideurs européens vont parvenir à se mettre d’accord à travers les directives «Petit déjeuner» (incluant également les jus de fruits, les confitures et le lait) pour revoir a minima les règles d’étiquetage et d’origine des miels consommés en Europe. Les pays d’origine des mélanges de miel devront figurer sur l’étiquette par ordre décroissant, avec la part en pourcentage de chaque origine. Les États membres auront la possibilité d’exiger la part en pourcentage des quatre parts les plus importantes uniquement lorsqu’elles représentent plus de 50% du mélange. La Commission est habilitée par les États membres à introduire des méthodes d’analyse harmonisées pour détecter le frelatage du miel par le sucre, une méthode uniforme de traçabilité de l’origine du miel et des critères permettant de s’assurer que le miel n’est pas surchauffé lorsqu’il est vendu au consommateur final. Selon la Commission, ce dispositif permettra de «limiter les pratiques frauduleuses et d’accroître la transparence de la chaîne alimentaire». Il devrait de facto redessiner la carte des pays exportateurs, et rétablir un prix de marché plus juste.
Le miel marocain obtient donc un feu vert de l’UE au moment opportun où le consommateur européen, sensibilisé sur l’origine et la qualité du produit, va diversifier ses achats et pourra vérifier le savoir-faire des apiculteurs de toutes les régions du Maroc.