Déléguée par le Chef du gouvernement, l’Agence judiciaire du Royaume (AJR) a déposé en début de semaine une requête devant le tribunal de commerce de Casablanca, au nom de l’Etat marocain, pour l’exploitation, à titre locatif, des bacs de stockage de la raffinerie de la Samir. L’AJR a obtenu une réponse favorable actée par une décision prononcée, jeudi, par Abderrafii Bouhamria, juge-commissaire en charge de la liquidation de la Samir.
L’initiative de l’Etat intervient dans un contexte marqué par une chute historique des cours du pétrole sur le marché international. Le lundi 20 avril dernier, le baril américain de brut a plongé pour la première fois en territoire négatif, sous l’effet de l’effondrement de la consommation (confinement oblige), combinée à une production en hausse (bras de fer entre l’Arabie saoudite et la Russie), ce qui a entraîné une saturation des capacités de stockage. Celles-ci se remplissent à grande vitesse un peu partout dans le monde, y compris sur les supertankers en mer. Le coût de location d'un supertanker a été multiplié par cinq, passant de 30.000 dollars à près de 150.000 dollars par jour. Depuis, le secteur cherche désespérément des solutions pour stocker les excédents qui s’accumulent aux quatre coins du monde.
Au Maroc, de nombreuses voix s’élèvent en coulisses depuis quelques semaines, incitant à profiter de cette conjoncture pour remplir les bacs vides de la raffinerie Samir, à l’arrêt depuis 2015. Le gouvernement a ainsi la possibilité de faire d’une pierre deux coups.
D’une part, reconstituer les stocks stratégiques, situés actuellement autour de 40 jours pour le gasoil et de 50 jours pour l’essence. «Avec les cuves de la Samir, d’une capacité de 1,8 million de tonnes, tous produits pétroliers confondus, le Maroc s’offre une capacité supplémentaire équivalente à 17 jours de consommation de gasoil, 25 jours (essence) et 20 jours (fuel). Ce qui va nous permettre d’atteindre le seuil réglementaire de stockage stratégique fixé à 60 jours, voire le dépasser pour certains produits», explique une source gouvernementale.
D’autre part, reconstituer les stocks en s’approvisionnant à des prix historiquement bas devrait alléger considérablement la facture énergétique libellée en devises. En tenant compte d’un cours moyen du baril autour de 40 dollars US en 2020 contre une hypothèse de 67 dollars dans la Loi de finances 2020, une récente étude d’Attijari Global Resarch a estimé à environ 20 milliards de dirhams l’économie que le Maroc sera en mesure de réaliser grâce à la baisse des cours du pétrole. À titre de comparaison, ce montant devrait compenser 60% des pertes attendues au niveau des recettes touristiques, estimées par la Confédération nationale du tourisme (CNT) à plus de 34 milliards de dirhams en 2020.
Augmenter les stocks, c’est aussi une manière de se protéger contre les fluctuations des prix qui risquent de se déclencher à tout moment alors que plusieurs pays commencent à lever progressivement leurs mesures de confinement. D’où la nécessité d’accélérer les démarches précédant la concrétisation effective de la location.
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Pour l’heure, le schéma de la location n’a encore pas été arrêté. Selon nos informations, les négociations ne tarderont pas à démarrer entre l’Etat, représenté par l’AJR, et le syndic en charge de la liquidation de la Samir. Le montant du loyer, la durée, les droits et les obligations de chacune des deux parties, etc., tous les détails seront précisés dans le contrat de bail qui devra à nouveau recevoir l’aval du tribunal.
L’autre avantage, et non pas des moindres: dans un contexte de saturation des centres de stockage à l’échelle internationale, en exposant les cuves de la Samir, le Maroc entre de plain-pied dans le cercle très fermé des pays disposant de capacités de stockage libérées. Ainsi, le Maroc sera en mesure de s’imposer en tant que nouvel acteur dans la chaîne logistique mondiale. Cela va sans doute améliorer son attractivité auprès des investisseurs internationaux qui, à terme, pourraient s’intéresser aux futurs projets de stockage dans le cadre de nouvelles infrastructures portuaires.
Quid de la gestion de ces bacs de stockage? Sera-t-elle confiée à un opérateur public ou bien au privé? Rien n’est encore tranché, répond notre interlocuteur. Une chose est néanmoins sûre, en cas de choc exogène (pénurie, hausse des prix), la priorité sera donnée au marché local.
Parmi les trois contrôleurs de la liquidation de la Samir, seul Hussein El Yamani, secrétaire général du bureau syndical affilié à la CDT, a exprimé son opposition au choix de location qui, à ses yeux, constitue «une entrave au processus de cession de la raffinerie». Le représentant du personnel s’est toujours manifesté contre le scénario de vente ou de location «à la découpe» de la raffinerie.
Le gouvernement ne partage pas le même avis que celui de Hussein El Yamani, estimant que la location ne remet pas en cause les intérêts de la Samir. Car même en cas de cession, le redémarrage de la raffinerie prendra du temps. Mieux encore, poursuit la même source, les paramètres du contrat de bail seront nécessairement intégrés et pris en compte par les acquéreurs potentiels de la raffinerie.