En 2025, le Maroc a multiplié les mesures de défense commerciale afin de protéger sa production nationale face à une montée jugée préoccupante des importations à prix dumping ou en volumes excessifs. Droits antidumping définitifs, mesures provisoires, sauvegardes et prorogations: l’action du ministère de l’Industrie et du Commerce s’inscrit dans une logique de rééquilibrage des conditions de concurrence sur plusieurs filières industrielles.
Dernière décision en date, annoncée le 23 décembre 2025, l’imposition d’un droit antidumping définitif de 27% sur les importations de luminaires LED pour l’éclairage public en provenance de Chine. Cette mesure fait suite à une enquête ouverte en septembre 2024, concluant à l’existence d’un dumping ayant causé un dommage important à la branche de production nationale.
Les autorités ont établi que les importations chinoises, commercialisées à des prix inférieurs à leur valeur normale, avaient entraîné une dégradation notable des indicateurs de la filière locale. Baisse de la production, recul des ventes et des parts de marché, sous-utilisation des capacités et pertes ont conduit le ministère, après avis favorable de la Commission de surveillance des importations, à instaurer cette mesure définitive.
Un mois plus tôt, le 24 novembre 2025, le ministère avait tranché en imposant des droits antidumping définitifs sur le PVC importé d’Égypte. Les marges de dumping retenues figurent parmi les plus élevées jamais constatées: 74,87% pour Egyptian Petrochemicals Company (EPC) et 92,19% pour les autres producteurs-exportateurs égyptiens non coopérants.
L’enquête a mis en évidence une hausse significative des importations de PVC égyptien, accompagnée d’une sous-cotation persistante des prix sur le marché marocain. Cette situation a fortement pesé sur la branche de production nationale, entraînant une détérioration de sa rentabilité et de son retour sur investissement, justifiant l’adoption de mesures correctives durables.
Mesures provisoires et sauvegardes
Outre les décisions définitives, le Maroc a également recouru à des mesures provisoires afin de prévenir des dommages imminents. Le 22 décembre 2025, le ministère a ainsi imposé des droits antidumping provisoires sur les importations de fils d’acier galvanisés originaires d’Égypte et des Émirats arabes unis.
L’enquête préliminaire a révélé des marges de dumping allant jusqu’à 50,67% pour certains exportateurs égyptiens et 52,71% pour les opérateurs émiratis non coopérants. Les volumes importés ont connu une progression spectaculaire, passant de 112 tonnes en 2020 à près de 14.669 tonnes à fin septembre 2024, exerçant une pression intense sur les prix domestiques.
Face à cette situation, la branche de production nationale (composée de quatre entreprises couvrant l’ensemble de la production marocaine) a alerté sur une érosion de ses parts de marché et un risque de détérioration de ses indicateurs économiques. Les autorités ont estimé que les conditions étaient réunies pour l’instauration de mesures provisoires de protection.
Dans le secteur du bois, le ministère a également activé l’outil des mesures de sauvegarde. Le 12 février 2025, une mesure de sauvegarde provisoire a été appliquée aux importations de panneaux de fibres de bois revêtus (PFBR), pour une durée de trois ans. Elle consiste en un droit additionnel spécifique de 1 dirham par kilogramme au-delà d’un contingent tarifaire fixé à 16.000 tonnes.
L’enquête initiée en février 2024 a démontré une corrélation entre l’augmentation massive des importations et la détérioration des indicateurs de la branche de production nationale. Les importations ont bondi de 43% en 2020, puis de 98% en 2021, avant d’atteindre en 2023 un niveau sans précédent avec une hausse de 73% par rapport à 2022.
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La politique marocaine de défense commerciale se traduit également par la prorogation de mesures existantes. Le 10 septembre 2025, le ministère a annoncé la prolongation pour trois ans de la mesure de sauvegarde sur les panneaux de particules de bois revêtus (PPBR), en vigueur depuis 2019.
Cette décision fait suite à une enquête de réexamen lancée en avril 2025 à la demande de l’unique producteur national, CEMA Bois de l’Atlas. Malgré une relative stabilisation des volumes importés, leur part par rapport à la production nationale a continué d’augmenter, tandis que les progrès de la branche locale restent jugés «très récents et précaires».
La mesure prorogée prévoit l’application d’un droit additionnel spécifique de 1,6 dirham par kilogramme au-delà d’un contingent annuel progressivement relevé sur trois ans. Elle s’appliquera jusqu’au 19 septembre 2028.
Dans la même logique, le 19 décembre 2025, le ministère a ouvert une enquête de réexamen visant à prolonger les droits antidumping sur le contreplaqué latté (CPL) en provenance d’Égypte. Un droit de 28,13% est en vigueur depuis 2015 et arrive à expiration en décembre 2025. Le requérant, CEMA Bois de l’Atlas, estime que la suppression de cette mesure entraînerait une reprise du dumping et un nouveau préjudice pour l’industrie nationale.
Parallèlement aux mesures déjà prises, plusieurs procédures restent en cours. Le 26 septembre 2025, le Maroc a ouvert une enquête antidumping sur les importations de tapis et revêtements de sol textiles en provenance de Jordanie. Les données fournies font état d’une hausse spectaculaire des importations jordaniennes, passées de 426.303 m² en 2022 à plus d’un million de m² en 2023.
Plus tôt, le 12 février 2025, le ministère avait également lancé un réexamen partiel des droits antidumping (35,33%) appliqués aux tapis égyptiens du groupe Oriental Weavers.
Entre protection de l’industrie et impératifs de concurrence
Les mesures de défense commerciale adoptées par le Maroc en 2025 sont globalement saluées par les industriels concernés, qui y voient un rempart face à la pression croissante des importations à bas prix. Dans le secteur du bois, la prorogation des mesures de sauvegarde est perçue comme un levier indispensable pour consolider la production nationale. «Ces décisions nous offrent un minimum de visibilité pour poursuivre nos investissements et nos ajustements industriels», confie un professionnel de la filière, rappelant que la concurrence des produits importés pesait fortement sur les marges.
Ces décisions s’inscrivent dans une tendance internationale plus large. «Le Maroc utilise des instruments reconnus par l’OMC pour rétablir des conditions de concurrence équitables», analyse un expert en commerce international, soulignant la montée en technicité des enquêtes menées par l’administration.
Il appelle néanmoins à la vigilance. «La défense commerciale doit rester ciblée et temporaire pour éviter un renchérissement des intrants pour les secteurs utilisateurs», prévient-il. L’enjeu, selon lui, est désormais de transformer cette protection en gains durables de compétitivité.
À travers ces décisions, le Maroc envoie un signal clair: utiliser pleinement les instruments prévus par la loi 15-09 sur la défense commerciale pour défendre ses industries face à des pratiques commerciales jugées déloyales, tout en laissant la porte ouverte aux ajustements lorsque les conditions de marché évoluent.








