Le Quality Leaders Summit, inauguré à Casablanca sous l’impulsion de Coface, s’est imposé comme un espace où l’analyse économique s’émancipe du convenu pour scruter, avec rigueur, un environnement mondial en recomposition rapide.
Dès l’ouverture, Benoît Ganzmann, directeur général de Coface Maghreb, Afrique centrale et de l’Ouest, a planté le décor d’une économie mondiale en perte de visibilité. Il rappelle que la dernière Risk Review fixe la croissance mondiale à 2,6%, un rythme modéré qui contraste avec l’accélération des défaillances d’entreprises, surtout dans les économies avancées. Dans un tel paysage, avertit-il, l’excellence financière cesse d’être un avantage comparatif pour devenir une condition de survie. C’est précisément pour répondre à ce basculement qu’est né le Quality Leaders Summit, conçu comme «un forum stratégique où la réflexion prend de la hauteur, où l’expérience se partage et où la confiance se construit».
L’ambition de Coface s’inscrit déjà dans le temps long: enrichir le débat sur la qualité de l’information financière, valoriser les entreprises certifiées au Quality Label et produire des analyses capables d’accompagner durablement les transformations du tissu économique marocain.
Lorsque s’engage le premier panel, la discussion se recentre sur le fonctionnement des marchés marocains et l’équilibre fragile qui les soutient. Youssef Rouissi, directeur général délégué d’Attijariwafa bank chargé du Corporate & Investment Banking, rappelle que la solidité d’un marché financier repose d’abord sur la profondeur de ses intervenants. Les banques jouent ici un rôle pivot, en tant que véritables market makers, garantes de la liquidité et de la formation des prix. Ce dispositif est renforcé par la taille exceptionnelle du marché de la gestion collective, qui approche désormais les 800 milliards de dirhams, soit près de la moitié du PIB et sert de matelas stabilisateur en période de choc.
Le banquier insiste ensuite sur un autre ressort essentiel de la résilience financière, notamment les instruments de couverture, ces outils qui, au moment où les fluctuations des taux, des devises ou des matières premières s’accélèrent, deviennent centraux pour sécuriser les plans d’affaires afin d’offrir aux entreprises une visibilité qui se raréfie. L’entrée en vigueur prochaine du marché à terme avec des contrats futurs sur actions et sur taux représente, selon lui, un tournant stratégique pour l’attractivité du marché marocain, appelé à s’aligner davantage sur les standards internationaux.
En filigrane, il rappelle aussi le rôle contracyclique du secteur bancaire lors des crises où près de 8% du PIB ont été injectés sous forme de prêts garantis par l’État, une intervention décisive pour préserver la liquidité en devises et soutenir la dynamique de relocalisation industrielle.
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La discussion s’approfondit lorsque Fadwa Housni, présidente-directrice générale de BMCE Capital Global Research, replace ce débat dans la trajectoire historique du Maroc. Elle rappelle que le pays repose sur un modèle bank-centré, inspiré du cadre français, où 80 à 85% du financement externe des entreprises provient du système bancaire. Ce choix structurel explique pourquoi le secteur demeure l’un des plus stables du continent, en dépit des turbulences internationales.
Les données qu’elle avance témoignent d’une robustesse persistante avec un taux de transformation avoisinant 95%, une croissance annuelle des dépôts proche de 5% sur la dernière décennie et un encours de dépôts qui frôle les 1.300 milliards de dirhams, contre 1.200 milliards pour les crédits. À cette stabilité s’ajoute une diversification sectorielle significative, notamment avec une part industrielle de 18% dans les crédits, reflet d’un tissu productif en mutation.
Housni réhabilite également le cadre monétaire marocain souvent jugé rigide, qui agit pourtant comme un «pare-chocs indispensable» pour une économie émergente, en atténuant les effets de contagion lors des chocs externes.
L’Afrique face aux risques structurels et vulnérabilités persistantes
Lorsque la focale s’élargit à l’Afrique, le diagnostic se fait plus sévère. Aroni Chaudhuri, économiste Afrique chez Coface, replace les vulnérabilités du continent dans une logique de transmission internationale. Il relativise d’abord l’impact direct de la politique commerciale américaine, notant que les exportations africaines vers les États-Unis ne représentent que 5% du total. Le risque provient surtout des effets indirects transitant par l’Union européenne et la Chine, partenaires économiques déterminants dont chaque ralentissement résonne immédiatement sur les balances commerciales africaines.
Il décrit ensuite un ensemble de fragilités macroéconomiques enracinées par des déficits budgétaires chroniques, déséquilibres extérieurs récurrents, dépendance alimentaire et énergétique. Le cas du Sénégal, autrefois cité en exemple, illustre cette dérive avec une trajectoire d’endettement jugée préoccupante, malgré les promesses liées à l’exploitation des hydrocarbures. Ce cocktail fragilise les réserves de change, entretient l’inflation et tend les systèmes bancaires.
Les vulnérabilités socio-politiques complètent ce tableau. L’économiste observe une croissance qui profite de manière inégale aux territoires et aux catégories sociales, alimentant ce qu’il qualifie de «croissance à deux vitesses». Les tensions électorales, les inégalités territoriales et le manque de perspectives pour la jeunesse nourrissent des épisodes d’instabilité récurrents, dont les mouvements de contestation ne sont que la manifestation visible.
En croisant ces diagnostics, le Quality Leaders Summit offre une grille de lecture cohérente des tensions qui traversent les économies africaine et marocaine. En initiant ce rendez-vous, Coface entend en faire une plateforme pérenne de réflexion stratégique, capable d’accompagner les mutations d’un environnement mondial devenu plus dense, plus volatil et plus exigeant.








