Bien, mais peut mieux faire. C’est ainsi qu’on pourrait résumer le dernier rapport de suivi de la situation économique au Maroc de la Banque mondiale, intitulé «De la résilience à la prospérité partagée». Ce rapport, publié le 16 novembre, a été officiellement présenté, jeudi 30 novembre à la Faculté des sciences juridiques, économiques et sociales (FSJES) d’Aïn Chock, à Casablanca, par ses principaux auteurs, Javier Diaz Cassou et Federica Marzo, économistes seniors au bureau de la Banque mondiale au Maroc.
Cette rencontre a également vu la participation de Fouzi Mourji, professeur d’économétrie à cette faculté, d’Amal Idrissi, directrice exécutive de l’Observatoire marocain de la TPME, et de Houda Barakate, directrice générale de la Fondation marocaine de l’éducation pour l’emploi (EFE-Maroc).
D’emblée, Javier Diaz a expliqué à l’auditoire, essentiellement composé d’étudiants et de professeurs, le choix du titre de ce rapport. «C’est pour mettre en exergue la capacité de résilience du Maroc, qui a su gérer efficacement la succession de chocs comme la longue sécheresse, la pandémie de Covid-19, et le tremblement de terre, et profiter de ces crises pour apporter des réformes profondes et transformationnelles», a-t-il affirmé.
Évoquant l’évolution de l’économie marocaine au cours de ces dernières années, l’expert a constaté globalement une certaine stagnation des indicateurs sociaux, notamment au niveau de la consommation par habitant qui reste au même niveau par rapport à 2019.
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Il a aussi noté un niveau de confiance «extrêmement bas» des ménages marocains, une hausse du taux d’inactivité aussi bien chez les hommes que chez les femmes, notamment dans les zones rurales, principalement à cause de la sécheresse qui impacte gravement les activités agricoles. «L’inflation a baissé de moitié entre février et août 2023, mais l’inflation alimentaire demeure élevée et continue de toucher de manière disproportionnée les ménages les plus modestes», a-t-il souligné.
Pour faire face à cette conjoncture, Bank Al-Maghrib (BAM) a annoncé, fin septembre dernier, le maintien de son taux directeur à 3%. «Bank Al-Maghrib a été plutôt prudente dans la fixation du taux directeur. C’est une décision justifiée pour contenir l’inflation notamment due à la hausse des coûts des importations, causés par l’augmentation des prix des matières premières», a observé l’expert.
Et d’ajouter: «En faisant une comparaison internationale par rapport aux taux appliqués dans des pays européens et aux États-Unis, nous avons constaté que le Maroc fait partie des économies émergentes où le resserrement monétaire a été parmi les moins importants et qui avaient des taux d’inflation similaires à celui du Maroc.»
Importante hausse des exportations nettes
La conjoncture au Maroc contraste avec la forte croissance de la demande extérieure, tirée par les exportations nettes du Royaume, notamment celles des secteurs automobile, électronique et aéronautique, et une réduction des importations au cours de ces derniers mois. «C’est une nouveauté, puisque si l’on compare les moteurs de la croissance du Maroc avant 2022, on constate que la demande était tirée par la consommation intérieure, notamment celle des ménages, à travers les investissements publics et privés», a précisé M. Cassou.
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L’autre bonne nouvelle concerne la hausse considérable des investissements directs étrangers (IDE) dans le Royaume qui restent plus élevés que ceux de la plupart des pays à proximité de l’UE, selon l’expert. Citant un indice mis en place par le magazine Financial Times, M. Cassou a indiqué que les annonces de nouveaux projets d’investissement au Maroc sont passées d’un montant de 3,8 milliards de dollars en 2021 à 38 milliards de dollars en 2023. «Il y a un intérêt énorme des investissements internationaux pour le Maroc grâce à la résilience de son économie à travers sa capacité à gérer les chocs extérieurs. Cette montée en puissance des investissements pourrait être, à moyen terme, un moteur de croissance très significative.»
Des croissances de 2,8% en 2023 et 3,1% en 2024
L’économiste a également confirmé les projections de la Banque mondiale, qui prévoit un impact faible du séisme d’Al Haouz sur la croissance de l’économie marocaine. Selon lui, le poids économique des trois régions les plus touchées par le tremblement de terre est quasiment nul, ces localités ne représentant que 0,3% de l’emploi et 0,3% du chiffre d’affaires des entreprises formelles marocaines.
«Nous prévoyons des impacts macroéconomiques essentiellement nuls à court terme et potentiellement positifs à moyen ou long terme grâce à la réaction efficace du gouvernement marocain, qui a mis en place un plan de développement d’une taille très importante qui pourrait dégager des marges de croissance assez importantes pour le Maroc», a-t-il soutenu.
Pour ce qui est des perspectives macroéconomiques, la Banque mondiale table sur un taux de croissance du PIB de 2,8% en 2023 au Maroc, grâce à une reprise partielle de la production agricole, des services et des exportations nettes, après un ralentissement marqué en 2022, résultant des chocs climatiques et de la hausse des prix des matières premières, survenus de manière concomitante.
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La reprise devrait se renforcer à moyen terme pour permettre au Royaume d’atteindre une croissance du PIB de 3,1% en 2024, 3,3% en 2025, et 3,5% en 2026, notamment sous l’impulsion de la demande intérieure, qui se remettra progressivement des chocs récents.
Réduire le stress hydrique et favoriser l’investissement privé
Mais pour atteindre ces chiffres, le gouvernement marocain devrait relever un certain nombre de défis, selon Banque mondiale. D’abord, favoriser l’investissement privé, qui a connu une régression très importante. «L’investissement influence non seulement la croissance actuelle mais aussi future. D’où l’importance d’examiner les facteurs qui expliquent cette régression de la participation des privés marocains», a souligné Javier Diaz Cassou.
Il s’agit également de lutter contre le stress hydrique. Pour mesurer le niveau de pénurie d’eau au Maroc, la Banque mondiale a mis en place un indice de pluviométrie relative, qui se base sur des données satellitaires mensuelles pour étudier le pourcentage de territoires qui sont dans des conditions exceptionnellement sèches et exceptionnellement humides. Et les résultats sont effarants: «Depuis 2019, le Maroc fait face à une pénurie d’eau très grave. C’est l’une des périodes de sécheresse les plus longues vécues par le Royaume, comparée à celles des dernières décennies. Les barrages marocains ont des taux de remplissage de moins de 24%», a précisé l’économiste senior de l’institution de Bretton Woods.
À l’en croire, l’aggravation de cette pénurie constitue une grave menace pour le secteur agricole, mais elle risque également d’assécher la croissance de l’économie marocaine. «Le rapport Climat et développement de la Banque mondiale, publié il y a quelques mois, révélait que la persistance de la pénurie d’eau durant les prochaines années pourrait coûter au Maroc 6,5% de son PIB.»
Enfin, il faut renforcer la participation de la femme dans le marché du travail. D’après la Banque mondiale, au-delà de son rôle crucial dans la promotion de l’égalité des genres, l’augmentation de la participation des femmes dans le marché du travail aurait également un impact économique significatif, constituant ainsi un moteur puissant de développement socioéconomique. «Un taux de participation des femmes au marché du travail de 45% pourrait stimuler la croissance de près d’1% par an du PIB au Maroc», a souligné Federica Marzo.