Discussion autour des chiffres de la croissance 2024: les précisions du HCP

Le siège du Haut-commissariat au plan, à Rabat.. Adil_Gadrouz

Suite à la publication de notre article intitulé «Le HCP a-t-il cherché à gonfler le taux de croissance de 2024?», qui soulignait les divergences entre la croissance de 7,9 % annoncée par le Haut-Commissariat au Plan (HCP) et la prévision de 3,8 % de Bank Al-Maghrib, le directeur général de la statistique et de la comptabilité nationale au HCP, Jamal Azizi, a souhaité apporter des éclairages complémentaires sur les indicateurs utilisés dans les comptes nationaux. Sollicité par Le360, l’économiste Fouzi Mourji insiste de son côté sur l’importance d’une analyse détaillée du déflateur implicite du PIB et de la contribution des différentes composantes des prix.

Le 13/12/2025 à 13h04

En réaction à notre article intitulé « Le HCP a-t-il cherché à gonfler le taux de croissance de 2024?», le responsable du HCP souligne d’emblée le fait que l’écart entre les deux chiffres ne traduit aucun désaccord d’analyse, mais découle exclusivement de la nature différente des indicateurs utilisés. Selon Jamal Azizi, le HCP publie chaque année deux mesures du PIB, conformément au Système de comptabilité nationale (SCN 2008), chacune répondant à des usages analytiques distincts.

«La première mesure est le PIB réel ou PIB en volume. Il correspond à la valeur de la production mesurée aux prix de l’année précédente. Il élimine l’effet des variations de prix et constitue l’indicateur officiel de l’évolution réelle de l’économie», explique-t-il.

Ainsi, la croissance réelle du PIB s’est établie à 3,7 % en 2023 et 3,8 % en 2024, reflétant l’évolution des quantités effectivement produites dans l’économie marocaine. C’est ce taux qui doit être retenu pour apprécier la performance réelle du pays.

La seconde mesure est le PIB nominal, calculé à partir de la valeur de la production aux prix de l’année en cours. Son évolution — 11 % en 2023 et 7,9 % en 2024 — reflète une variation en valeur, intégrant l’effet des prix.

«Ces taux ne doivent pas être interprétés comme des taux de croissance économique, mais comme une mesure de l’évolution de la valeur de la production. Ils servent notamment à l’analyse des revenus, aux comptes des secteurs institutionnels, aux calculs de ratios macroéconomiques et aux comparaisons internationales», précise Azizi.

Le responsable rappelle que l’écart entre PIB réel et PIB nominal découle de l’effet des prix. À ce titre, il apporte une clarification essentielle: «Le déflateur du PIB n’est pas un indice observé directement mais un indice implicite, obtenu à partir du rapport entre le PIB nominal et le PIB réel. Il permet d’isoler l’effet des prix et de reconstituer l’évolution réelle de la production. Ce déflateur couvre l’ensemble de l’économie nationale: consommation, investissement, variations de stocks et échanges extérieurs

Le responsable du HCP tient également à rappeler que le déflateur du PIB ne doit pas être confondu avec l’Indice des prix à la consommation (IPC). «L’IPC mesure la variation des prix d’un panier de biens et services consommés par les ménages, alors que le déflateur représente un indice global associé à l’ensemble de la production intérieure. Les deux indicateurs répondent ainsi à des objectifs distincts et ne peuvent être utilisés de manière interchangeable», précise-t-il.

Jamal Azizi rappelle enfin que les chiffres du PIB réel pour 2023 et 2024 ont été publiés dès juin 2025 dans le Tableau Ressources-Emplois et les comptes par branche.

«La récente publication des comptes des secteurs institutionnels s’appuie sur ces mêmes données, ce qui assure une cohérence complète de l’ensemble du dispositif statistique», conclut-il.

Les précisions fournies par le HCP apportent un éclairage utile pour mieux comprendre les données relatives au taux de croissance du PIB en 2024. Elles témoignent également d’une ouverture appréciable et d’une volonté de dialogue de la part des cadres de l’institution dirigée par Chakib Benmoussa, favorisant un débat public constructif et un usage éclairé des statistiques produites par le HCP.

Les économistes appellent à davantage de détails méthodologiques

Pour approfondir cette analyse, Le360 a recueilli l’avis de Fouzi Mourji, professeur d’économétrie à l’Universté Hassan II de Casablanca et ancien directeur fondateur de la Direction des études et des prévisions économiques (DEPF) au ministère des Finances. Selon lui, les variations des prix constituent l’une des principales grandeurs macroéconomiques suivies par les agents économiques, notamment pour la gestion des stocks et la programmation de la production. Elles nourrissent ainsi des anticipations qui se traduisent par des décisions ayant un impact direct sur la conjoncture et la croissance. D’où l’importance, souligne-t-il, d’une analyse approfondie du déflateur implicite du PIB et des efforts méthodologiques nécessaire pour en expliquer les évolutions. Cela passerait notamment par une décomposition mettant en évidence la contribution des variations des prix à la consommation (IPC), des prix des biens d’équipement et, le cas échéant, des prix à l’exportation. Ces deux dernières composantes, dit-il, constituent des proxys pertinents des prix à la production: leurs tendances orientent les anticipations des agents économiques, influencent les décisions de stockage et de production et préfigurent, avec un certain décalage, l’évolution future des prix à la consommation.

«Pour comprendre comment le HCP est parvenu à un taux de 7,9 %, il serait utile qu’il publie le PIB en valeur pour 2022, 2023 et 2024, ainsi que le PIB en volume pour les mêmes années. L’utilisateur pourrait alors calculer lui-même le déflateur et en apprécier la cohérence», explique Fouzi Mourji.

Par ailleurs, ajoute-t-il, il serait pertinent que le HCP communique également pour ces années l’indice agrégé des prix à la production, tous secteurs confondus.

«L’ensemble de ces données combinées relatives au PIB en valeur et en volume permettrait une analyse plus fine et faciliterait la compréhension du gap entre la croissance réelle (3,8 %) et la croissance nominale (7,9 %), difficile à interpréter sans ces éléments», conclut-il.

Par Wadie El Mouden
Le 13/12/2025 à 13h04