Aux grands maux, les grands remèdes. Pour résoudre l’équation du stress hydrique, le Maroc mise sur le dessalement de l’eau de mer. Dans le pipe, la construction de plusieurs stations, dont le mégacomplexe industriel de Casablanca, d’une capacité de production de 548.000 m3 par jour (200 millions de m3 par an), extensible à 822.000 m3/jour (300 millions de m3 par an), développée par un consortium composé de l’Espagnol Acciona et des Marocains Afriquia Gaz et Green of Africa.
Seize autres usines sont également en cours de réalisation, notamment à Dakhla, Jorf Lasfar, Safi, Boujdour et Tarfaya. Une fois achevées, ces futures infrastructures rejoindront les onze autres stations de dessalement existantes, dont celles de Chtouka-Aït Baha (Province d’Agadir), lancée en 2022, d’une capacité de 250.000 m3 par jour, de Safi et de Jorf Lasfar réalisées par le groupe OCP, et celle de Laâyoune. Objectif: disposer d’ici 2030 d’une vingtaine de stations, avec une capacité globale annuelle de 1,3 milliard de m3 d’eau.
«Le Maroc est le bon endroit» pour développer des projets de dessalement durable
Un challenge qui, vraisemblablement, n’est pas la mer à boire. Et pour cause, le Royaume dispose des moyens pour réussir ce pari à moindre coût: les énergies renouvelables. C’est la conviction de Rudolph Edlinger, directeur général de l’Émirati Aqua Engineering. «Les stations de dessalement alimentées par des énergies renouvelables, comme le solaire ou l’éolien, permettent de réduire considérablement les coûts de production du mètre cube d’eau. Ces solutions de dessalement “green” pourraient être appliquées au Maroc, qui dispose d’un grand potentiel dans ce domaine», affirme-t-il dans une déclaration pour Le360, lors d’une récente visite au Maroc.
Filiale du groupe Aqua Engineering LLC, son entreprise est active depuis plus de 60 ans dans le dessalement de l’eau de mer en Europe, en Afrique du Nord, en Asie de l’Est et du Sud-Est. Elle a récemment construit une usine de dessalement d’une capacité de production de 250.000 m3 par jour en Inde. «Nous sommes venus au Maroc pour rencontrer nos partenaires internationaux et voir comment apporter notre expertise, notre valeur ajoutée et notre expérience pour contribuer au programme mis en place par le gouvernement qui vise à promouvoir le dessalement de l’eau de mer», indique notre interlocuteur.
L’expert autrichien est «convaincu que le Maroc est le bon endroit» pour développer des projets de dessalement durable. «Je suis persuadé que les projets en développement permettront de sécuriser à long terme l’approvisionnement en eau. Nous sommes prêts à contribuer à la réussite de cette stratégie», insiste-t-il.
Technologie privilégiée: l’osmose inverse
Avant de comprendre l’impact des énergies renouvelables dans la réduction des coûts, plongeons d’abord dans l’océan des technologies utilisées dans le dessalement de l’eau de mer. Il en existe principalement deux: la distillation et l’osmose inverse. La première est un procédé thermique consistant à chauffer l’eau salée dans une chaudière ou à l’aide du rayonnement solaire jusqu’à évaporation, au sein d’une centrale thermique. La vapeur d’eau s’échappant est ainsi condensée pour récupérer de l’eau douce. Ce système nécessite jusqu’à presque 30 kilowattheures (kWh) pour dessaler un mètre cube d’eau.
Quant à l’osmose inverse, elle consiste à filtrer l’eau de mer à l’aide d’une membrane semi-perméable percée de trous de quelques nanomètres de diamètre, pour retenir le sel et les autres impuretés, avant de reminéraliser l’eau à la fin du processus. Un procédé nécessitant entre 2,5 et 3 kWh par m3, et qui est actuellement utilisé dans plus de 70% des quelque 22.000 usines de dessalement dans le monde.
«Au cours des vingt dernières années, on peut dire que l’osmose inverse est devenue une technologie très performante, sûre et très compétitive en termes de coûts. C’est la raison pour laquelle la majorité des usines de dessalement l’utilisent aujourd’hui», souligne Rudolph Edlinger.
Interpellé sur le coût de production de l’eau dessalée, le directeur d’Aqua Engineering explique qu’il est variable et dépend principalement du coût de l’énergie, généralement défini en fonction du volume de production du m3 par kilowattheure. «Il y a trente-cinq ans, nous avions besoin de 15 à 20 kilowattheures pour produire un mètre cube d’eau. Aujourd’hui, la consommation d’énergie avoisine plutôt les 3 à 3,5 kWh par m3», estime-t-il.
Énergies vertes et baisse des coûts
Autre facteur déterminant, la capacité de production de l’usine de dessalement. En effet, plus la taille de l’installation est grande, plus les coûts de production diminuent. Par exemple : le coût moyen de production d’un mètre cube d’eau dessalée varie entre 0,5 dollar (plus de 4,7 dirhams) le m3 pour des grandes usines, à plus de 1,25 dollar (plus de 11 dirhams) le m3 pour les plus petites stations.
Combinée aux énergies renouvelables comme l’éolien (utilisée dans la plupart des projets de dessalement à grande échelle dans le monde) ou le solaire, les coûts de production de l’eau dessalée empruntent une courbe descendante. Au Maroc par exemple, ils pourraient ainsi osciller entre 1,5 et 2 dirhams le m3. C’est dire!
Le Royaume en est conscient. Pour preuve: la future station de dessalement de Dakhla développée par le consortium constitué par le groupe marocain Nareva et le français ENGIE. D’une capacité de production de 90.000 m3/jour, cette usine, qui devrait être opérationnelle en 2025, sera alimentée par un parc éolien d’une capacité de 40 mégawatts. Deux projets d’un investissement de près de 2 milliards de dirhams. En mai 2023, le chinois Envision Energy, un des leaders mondiaux des solutions d’énergies renouvelables, avait annoncé la livraison de turbines de 60 MW pour ce projet de dessalement.
Outre l’économie des coûts, cette usine permettra également au Maroc d’éviter l’émission d’importants volumes de dioxyde de carbone dans les usines, de renforcer sa stratégie de décarbonation, et d’attirer de nouveaux investisseurs qui misent sur le dessalement durable.
LG veut renforcer sa présence au Maroc
«Pour garantir un fonctionnement fiable de l’usine de dessalement, il est important de bien choisir l’emplacement, mais aussi un bon design et des équipements performants, afin d’obtenir une eau de mer de bonne qualité, prélevée et prétraitée avec les membranes. Ainsi, cette installation peut fonctionner très bien pendant une longue période», recommande Rudolph Edlinger.
Et d’ajouter: «Au Koweït, par exemple, mon premier projet, livré en 1998, fonctionne encore aujourd’hui. Cela signifie qu’il a bénéficié d’un bon entretien, d’une bonne conception originale et d’une production de bonne qualité.»
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Massimiliano Gennari, directeur commercial Europe et Afrique de LG Water Solutions, filiale du géant coréen LG Chem, qui était également en mission de prospection au Maroc, estime que le Royaume dispose d’importantes ressources pour réduire le déficit hydrique par le biais du dessalement. Un séjour qui lui a permis de rencontrer et d’échanger avec des responsables de l’Office national de l’électricité et de l’eau potable (ONEE), du groupe OCP et de JESA.
«Nous collaborons avec des entreprises marocaines et étrangères présentes dans les régions situées au nord et au sud du Royaume, et spécialisées dans le dessalement de l’eau de mer. Nous partageons entièrement la vision de Sa Majesté le roi Mohammed VI qui ambitionne d’investir massivement dans les technologies de dessalement pour faciliter l’approvisionnement en eau des populations et de l’industrie», a-t-il déclaré, dans un entretien avec Le360.
Rappelons que LG Chem, actif depuis plusieurs années à Al Hoceima, avait annoncé le 21 mars dernier, la signature d’un contrat avec le groupe OCP pour équiper le complexe industriel de Jorf Lasfar par environ 18.000 membranes d’osmose inverse. Des équipements qui ont été récemment livrés, d’après Massimiliano Gennari. «Notre objectif est de soutenir nos partenaires locaux et les entreprises étrangères pour favoriser le succès de leurs grandes usines de dessalement dans le Royaume », indique-t-il.
D’après notre interlocuteur, l’économie marocaine, stimulée par l’industrie et l’agriculture, est en pleine croissance, et le pays connaît aussi un développement démographique assez important. «Nous pensons que la fourniture d’une eau potable de qualité, à travers le dessalement, permettra au Maroc de répondre à cette demande croissante. Grâce à notre technologie et nos partenaires avec lesquels nous travaillons dans le Royaume, nous pourrons contribuer à la réalisation de ces projets et permettre au pays de faire face à ces défis majeurs », conclut l’expert.