La chute est brutale pour l'alliance industrielle franco-japonaise qui, avec son nouveau membre Mitsubishi Motors, a occupé en 2017 et 2018 la première place mondiale des ventes d'automobiles et utilitaires légers en écoulant plus de 10,6 millions d'unités, un triomphe de son architecte Carlos Ghosn.
Aujourd'hui, Ghosn est en fuite au Liban après avoir échappé à la justice japonaise qui l'avait arrêté fin 2018 pour malversations financières présumées. Et l'alliance souffre, minée par une stratégie qui s'est révélée intenable.
Renault a perdu de l'argent en 2019 pour la première fois en dix ans, avant même que l'épidémie de Covid-19 paralyse des usines et points de vente automobiles, notamment en Europe. Le constructeur "joue sa survie", a prévenu le ministre de l'Economie français. Les résultats annuels 2019/2020 de Nissan, qui seront dévoilés jeudi, sont également attendus dans le rouge.
Apôtre du volume au détriment des marges unitaires, M. Ghosn voyait pourtant grand pour l'alliance à l'horizon 2022: 14 millions de véhicules, dont cinq pour le groupe au losange, des ambitions de toute évidence caduques.
Le nouveau plan stratégique de l'alliance, mercredi, devrait rester discret sur les chiffres, et parler davantage d'économies d'échelle. Il faudra attendre sa déclinaison chez Nissan jeudi puis chez Renault, vendredi, pour davantage de détails. Mitsubishi Motors, également dans une situation préoccupante, compte, lui, dévoiler son plan fin juillet ou début août.
Nissan veut désormais "mettre la priorité sur ses marchés coeur: le Japon, la Chine et l'Amérique du Nord". En Europe, où Nissan perd "beaucoup d'argent", il prévoit de "s'appuyer sur ses partenaires" mais pas de se retirer du marché, explique à l'AFP une source proche du constructeur japonais.
Côté maillage industriel, si l'usine Nissan de Barcelone "en surcapacité" pourrait être en danger, l'avenir de Sunderland (nord-est de l'Angleterre), très productive, semble assuré malgré le Brexit, selon cette source.
Lire aussi : Covid-19: après de nouvelles déclarations de Bruno Le Maire, PSA et Renault rassurent sur leur présence au Maroc
L'idée reste de "réduire les coûts fixes, tous azimuts" et donc de couper dans la capacité de production, actuellement de sept millions d'unités par an, soit deux de plus que les ventes. Selon la presse japonaise, 15% des effectifs mondiaux du groupe pourraient être supprimés d'ici à début 2023.
La santé chancelante de Nissan rajoute au casse-tête de Renault, qui détient 43% de son partenaire. Nissan contrôle de son côté 15% du groupe au losange, à quasi égalité avec l'Etat français.
Les dissensions qui avaient éclaté au grand jour dans la foulée de l'affaire Ghosn passent au second plan. Chez Nissan, "le ressentiment (à l'encontre de Renault et de l'Etat français) ou les conflits internes se sont plus ou moins effacés, parce que le coronavirus est un problème bien plus important", note Tatsuo Yoshida, analyste automobile chez Bloomberg Intelligence.
"Nissan, Mitsubishi et Renault n'ont pas de temps à perdre s'ils veulent survivre à cette crise", explique-t-il à l'AFP.
Emblématique de l'industrie hexagonale, l'ancienne Régie nationale doit retrouver la rentabilité et "en même temps" s'assurer le soutien du gouvernement français, inquiet des conséquences des décisions stratégiques de ce gros pourvoyeur d'emplois directs et indirects. Il doit donner son feu vert à un prêt bancaire de 5 milliards d'euros, mais réclame aussi des engagements en matière d'environnement et de relocalisation.
Une grande partie des modèles de Renault sont déjà produits dans des pays à faible coût, comme la Clio en Turquie, ou la gamme low cost Dacia en Roumanie et au Maroc. Les gammes supérieures - qui se vendent mal - et les utilitaires sortent des usines françaises, héritées des "Trente glorieuses" et parfois sous-utilisées.
"Nous serons extrêmement attachés, voire intransigeants, à la préservation des sites en France", a prévenu mercredi le Premier ministre Edouard Philippe, après des informations de presse faisant état du projet de Renault de fermer des implantations.
Renault avait dit en février tabler sur 2 milliards d'euros d'économies en trois ans, sans exclure de fermer des sites. "Aucun tabou", avait indiqué sa directrice générale par intérim, Clotilde Delbos.