Chakib Alj, président de la CGEM: «le niveau de pression fiscale est défavorable aux investisseurs internationaux»

Chakib Alj, président de la CGEM.

Chakib Alj, président de la CGEM. . DR

Dans cet entretien, le président de la CGEM, Chakib Alj, remet en question la pertinence de la réforme fiscale accompagnant le PLF 2023, en particulier celle relative à l’IS. L’intégration de l'informel, insiste-t-il, tout particulièrement dans le calcul des recettes fiscales, doit être une priorité du gouvernement.

Le 21/11/2022 à 10h08

Certains observateurs pensent que les distributeurs de carburants auraient pu figurer parmi les entreprises concernées par le niveau d’impôt sur les sociétés (IS) le plus élevé, sur un même pied d’égalité que les banques et les compagnies d’assurances, tout comme cela a pu être observé dans d'autres pays, où les pétroliers se voient taxés sur les superprofits. Qu’en pensez-vous?Certains distributeurs de carburants réalisent plus de 100 millions de dirhams de bénéfice net fiscal, à l’instar des opérateurs télécoms, ou encore des entreprises minières, ils subissent la hausse la plus élevée de la réforme de l’Impôt sur les Sociétés, passant de 31% en 2022 à 35% en 2026, soit 4% d’IS supplémentaires –et c’est sans compter les 5% supplémentaires de la contribution sociale de solidarité, reconduite pour les trois prochaines années. 

A l’exception des régimes cités plus haut, les activités réglementées comme les banques et les assurances, du fait que ce sont des secteurs peu soumis à la concurrence internationale, verront également leur taux d’IS progresser de 3% pour atteindre 40% en 2026. 

Le Nouveau Modèle de Développement, ou encore la loi-cadre portant réforme de la fiscalité, en appellent tous deux à une baisse drastique de la pression fiscale –pour d’une part, en élargir l’assiette, et d’autre part, s’aligner en termes de compétitivité face aux pays concurrents. C’est dans ce sens que nous devons tous pousser. Il est donc essentiel de ne pas se tromper de cible. Ces secteurs restent de grands pourvoyeurs d’emplois du pays, et génèrent déjà d’importantes recettes pour l’Etat. 

On a l’impression que les gouvernements successifs tendent à taxer toujours les mêmes catégories de contribuables (les entreprises et les salariés), alors qu’un pan entier de l’économie échappe toujours au fisc. Etes-vous de cet avis?Le Maroc a entrepris, ces dernières années, un ensemble de chantiers stratégiques, requérant des besoins de financement considérables. De nouvelles sources de financement innovantes sont à identifier par l’Etat, afin de mener à bien ces chantiers, sans sanctionner davantage les mêmes contribuables.

Les entreprises citoyennes et responsables font face à une iniquité due au secteur informel qui représente près de 30% du PIB, et la moins-value enregistrée par ces proportions constitue un potentiel de recettes considérable pour l’Administration. 

L’intégration de l'informel, notamment dans les calculs des recettes fiscales, doit ainsi être au centre des préoccupations des gouvernements tel que recommandé, de manière unanime, lors des assises de la Fiscalité et dans le rapport sur le NMD. Il est temps de concevoir les dispositifs à mettre en place et les mécanismes progressifs à instaurer pour élargir l’assiette fiscale et de prendre en considération les revenus issus de ce secteur. Sans ces réformes, ce sont les mêmes catégories d’entreprises qui continueront à être taxées.

Un IS à 35% pour les sociétés qui génèrent plus de 100 millions de dirhams et 40% pour les banques et compagnies d’assurances... Un tel niveau de pression fiscale ne risque-t-il pas d’avoir un impact négatif sur les flux des IDE et l’attractivité du Maroc auprès des investisseurs internationaux?En effet, les sociétés réalisant un bénéfice net supérieur à 100 millions de dirhams, au terme de l’augmentation du taux d’IS de 31% à 35%, seront soumises à un effet de seuil important par rapport aux entreprises dont le bénéfice net se situe en dessous de 100 millions de dirhams, pouvant atteindre jusqu’à 15 points de pourcentage de différence. 

Ce niveau de pression fiscale est sans aucun doute défavorable aux investisseurs internationaux d’une certaine taille dans les secteurs stratégiques par rapport aux pays concurrents. Ainsi, des entreprises précédemment installées seront contraintes de downsizer ou de relocaliser leur activité et les emplois associés pour assurer la pérennité de leurs modèles –et cela peut se produire plus rapidement qu'on ne le pense. 

Il est également important de préciser que cette disposition créera localement des distorsions, importantes et imposées de fait, entre les entreprises du même secteur.

Cette loi de finances se doit d’accompagner la charte de l’investissement, afin d’améliorer l'attractivité de notre pays aux investissements et en faveur de la mise en place d’écosystèmes sectoriels créateurs de nouvelles entreprises, de nouveaux emplois, et donc contribuant à l’élargissement de l'assiette fiscale. Cela ne peut se faire sans des signaux forts et des mesures concrètes à même de préserver les acquis et de donner la visibilité aux investisseurs, notamment en garantissant la stabilité fiscale de notre pays.

Par Wadie El Mouden
Le 21/11/2022 à 10h08