L’information a fait, cette semaine, les titres de plusieurs médias nationaux et internationaux: il s’agit de la découverte sur une plage de Larache, par une équipe d’archéologues, d’empreintes humaines orientées vers l’océan, appartenant à un groupe multigénérationnel d’Homo sapiens ayant vécu il y a quelques 100.000 ans.
Considérées comme les plus anciennes empreintes humaines jamais enregistrées en Afrique du Nord et dans le sud de la Méditerranée, elles donnent envie de partir sur les traces d’une histoire lointaine mêlée à de fabuleuses légendes.
N’est-ce pas dans ces rivages bordant l’Atlantique, arrosés par le Loukkos (le Lixus flumen des Anciens), que les récits placent le jardin des Hespérides, nymphes du Couchant, gardiennes d’un domaine réunissant toutes les richesses de la nature, que Pline l’Ancien situe dans l’estuaire du fleuve!
Le onzième des travaux d’Héraclès (Hercule des Romains) consistait à en dérober trois fruits d’or, identifiés tour à tour à des agrumes ou à des coings, transportés ainsi d’Afrique vers la Grèce.
Les fameuses grottes nichées au sud du cap Spartel, vestiges probables de la civilisation du Néolithique, portent le nom de l’illustre héros grec, lui ayant servi de retraite du guerrier; alors que le géant Antée, identifié au roi de ces contrées où il avait érigé son palais, aurait pris pour dernière demeure le tertre de Mzora, dans le cercle de Larache.
Mzora abrite en effet des monuments mégalithiques de l’Âge de bronze, les plus imposantes de ce type en Afrique du Nord, formées d’un tumulus de près de soixante mètres de diamètre, encerclé à sa base par des pierres dressées qui atteignent jusqu’à six mètres de haut.
Depuis l’Antiquité, le Cromlech de Mzora est assimilé au tombeau d’Antée, roi légendaire des Maures (qui bâtissait un temple dédié à Poséidon couronné de crânes des étrangers s’aventurant sur ses terres) et reste, selon les spécialistes, identifié à la sépulture d’un personnage de haut rang.
Dans son récit relatif à l’assaut de la ville de Tanger par le général romain Sertorius, le penseur Plutarque raconte: «C’est là, disent les Africains, qu’Antée est enterré. Sertorius, qui n’ajoutait pas foi à ce que les Barbares disaient de la grandeur énorme de ce géant, fit ouvrir son tombeau où il trouva, dit-on, un corps de soixante coudées. Etonné d’une taille si monstrueuse, il immola des victimes, fit recouvrir avec soin le tombeau, augmenta ainsi le respect qu’on portait à ce géant, et accrédita les bruits qui couraient sur son compte».
Quant à l’Héraclès de Lixus, l’historien tunisien M’hamed Hassine Fantar s’interroge sur son origine: «S’agit-il de Melqart, le dieu de Tyr dont le culte fut introduit par les Phéniciens dans cette région de la Méditerranée occidentale?... En tenant compte de l’antériorité historique des Phéniciens dans ces parages, Héraclès serait le fruit de la récupération de Melqart par les Grecs, ou plutôt une interprétation grecque de la divinité phénicienne. Une véritable réécriture où le sémitique se trouve enrichi par des apports grecs dont nous ne sommes pas en mesure d’apprécier le poids à sa juste valeur».
En tout état de cause, les deux personnages symbolisent la chevauchée vers l’Ouest de populations orientales.
Vers 1200 avant notre ère selon la tradition antique, les Phéniciens auraient bâti là, sur la rive droite du Lixus, celle qui est considérée comme étant la plus ancienne fondation phénicienne en Méditerranée occidentale, dont les témoignages concrets datent du VIIIe siècle avant notre ère.
Elle est appelée Lixc, du nom de la rivière, mais aussi Makom Shemesh (Cité du soleil); d’où l’appellation Tuchummus donnée à la ville dans les sources arabes médiévales, alors que les habitants nomment Tchemmich «La colline abritant les ruines».
Sous le règne de l’empereur Claude, elle devint une colonie, mais les révoltes berbères consécutives à l’assassinat de Ptolémée, fils de Juba par l’empereur Caligula, avaient gagné la majeure partie de la Maurétanie insurgée.
Les conséquences se firent sentir sur l’organisation du royaume, entraînant la destruction de plusieurs villes telle Lixus.
Progressivement, sur l’autre rive du Loukkos, à son embouchure sur l’Atlantique, une nouvelle ville s’impose, probablement sur l’emplacement d’une ville libyque.
Elle apparaît dans les sources écrites au XIIIe siècle, sous le nom d’El-’Araïch (donnant Larache par déformation), notamment chez Ibn Saïd al-Maghribi.
Selon la version la plus communément admise, l’appellation désignerait les treilles et ceps de vignes abondantes dans la région depuis l’Antiquité, figurant sur des monnaies anciennes et entrant dans la fabrication de cabanes au bord du Loukkos.
Touchée par l’occupation portugaise d’Asilah en 1471 à la suite de l’assaut d’une armée de 477 navires et 30.000 hommes, sous les ordres du roi du Portugal et de son fils l’infant Dom João, Larache décline et perd une partie de ses habitants.
Vingt années plus tard, elle est fortifiée et repeuplée par les Ouattassides, mais elle ne tarde pas à être occupée, en 1504, par les Portugais qui sont expulsés en 1578 par le Saâdien Ahmed al-Mansour.
La mort du puissant monarque devait toutefois précipiter le pays entier dans une période de guerres intestines et d’anarchie.
Un de ses fils, en lutte pour le pouvoir, de son nom Mohamed Cheikh Mamoun, décrit par l’historien al-Ifrani dans sa Nuzhat al-Hadi, en tant que «débauché, d’un caractère ignoble», prend la fuite de Fès vers Larache et embarque vers la péninsule Ibérique où il est convié à établir sa résidence à Carmona par Felipe III.
Une hospitalité largement intéressée, puisqu’elle était accompagnée d’intenses négociations au terme desquelles Mamoun concéda à offrir Larache aux Espagnols en contrepartie de leur aide contre son frère.
Différentes offensives ibères avaient été auparavant tentées en vue de s’emparer de Larache, dont Felipe II disait qu’elle valait, à elle seule, plus que l’Afrique entière: une en 1415 dans le sillage de l’occupation de Sebta; une autre sous la direction du conquistador des Îles Canaries Pedro de Vera; puis une expédition en 1489 visant à défendre la forteresse de la Graciosa, bâtie dans une presqu’île en amont avant que les Marocains n’en coupent l’accès fluvial, entraînant son abandon…
Certains auteurs pensent même que l’insensée campagne du jeune roi du Portugal, Dom Sebastião, en 1578, n’avait pour but que la prise de Larache, soldée par un désastre général, d’abord sur les rives de l’Oued El-Makhazine, ruinant ensuite la couronne portugaise et amenant à sa tête Felipe II d’Espagne.
Et voilà que l’Espagne, en hébergeant un prince dépité résolu, coûte que coûte, à monter sur le trône, tira partie de cette aubaine et commença à préparer son arsenal.
Le 20 février 1610, Mamoun donna ordre à son gouverneur al-Guarni d’évacuer la ville et de la livrer à Juan de Mendoza, marquis de San German.
L’humiliation subie et la portée du scandale furent telles qu’elles provoquèrent dans le pays un vif émoi et un cycle de troubles représenté notamment par la révolte d’Ibn Abi-Mahalli.
Malgré les différentes opérations jihadiennes, notamment celles livrées par Sidi Mhammed Ayyachi, la ville resta aux mains des Espagnols.
Il a fallu attendre 1689 pour assister à sa reconquête par le sultan alaouite Moulay Ismaïl, sous les ordres du caïd Ahmed Riffi.
Assiégés pendant cinq mois dans la forteresse saâdienne d’El-Qbibet, les Espagnols furent obligés de capituler, tandis que leurs prisonniers, estimés à 1.800 personnes, étaient emmenés dans la capitale impériale Meknès avant les opérations d’échanges des captifs…
Plus tard, en 1765, dans un contexte de prise de bâtiments français par les corsaires de Salé, une escadre française vint mouiller au large des cités du Bouregreg qui furent bombardées, ainsi que Larache, dans une opération menée par le chef d’escadre Duchaffaut.
Malgré les destructions de plusieurs maisons et de la mosquée de Larache, l’opération se révèle un désastre pour les Français, encerclés par les combattants marocains avec, à leur tête, le Gouverneur du Gharb Habib al-Malki, perdant en tout 200 hommes dont 30 officiers auxquels s’ajoutent 48 captifs.
La défaite de la marine française à Larache a mené à une trêve et à la signature en, 1767, d’un traité entre la France et le Maroc, accompagné de la libération des prisonniers, de l’installation de Louis de Chenier dans ses fonctions de consul général et assurant la liberté religieuse pour les Français du Maroc, tout en prévoyant une mosquée «dans le pays de France»…