Kamel Daoud: «Je ne serai jamais l’ennemi du Maroc, ce pays qui a accueilli les indépendantistes algériens»

L'écrivain franco-algérien Kamel Daoud était l'invité de l'émission «Le Grand entretien», le 12 décembre 2024, sur la radio «France Inter».

Invité le jeudi 12 décembre sur l’émission «Le Grand entretien», animée sur les ondes de la radio «France Inter» par Léa Salamé et Nicolas Demorand, l’écrivain algérien Kamel Daoud a exprimé sa position par rapport au régime d’Alger et ses sentiments envers le Maroc.

Le 13/12/2024 à 14h43

L’écrivain algérien, exilé en France depuis 18 mois, est longuement revenu, au cours de cet entretien filmé, sur la polémique qui entoure la parution de son nouveau livre «Houris» (éd. Gallimard), récompensé par le prix Goncourt 2024, mais aussi sur l’arrestation en Algérie de son ami le romancier et essayiste Boualem Sansal.

«Je ressens, comme beaucoup d’Algériens, de la colère, un sentiment d’humiliation, d’avilissement aussi de l’image qu’on donne de l’Algérie, parce qu’il y a quand même eu des sacrifices pour ce pays-là. Je ressens de la tristesse, l’envie de ne plus parler de l’Algérie parfois, de m’ouvrir au reste du monde. Mais je ressens aussi le besoin d’être solidaire, de continuer d’expliquer aussi ce qui se passe en Algérie par rapport à l’opinion occidentale, parce que l’une des choses les plus difficiles à expliquer au monde, c’est qu’est-ce qu’une dictature», a ainsi déclaré Kamel Daoud.

S’attaquant frontalement au régime d’Alger, l’écrivain, dont le dernier livre a été interdit de parution en Algérie, en ce qu’il traite de la décennie noire, a dénoncé les méthodes de ce régime qui «s’attaque à vos proches, à vos amis, à vos familles, à vos enfants». Une situation douloureusement surmontable pour l’écrivain qui fait se poser la question du prix de la liberté.

S’agissant de la situation Boualem Sansal, Kamel Daoud s’est dit pessimiste, car, à ses yeux, le régime en place n’est pas sensible à la mobilisation internationale, «parce qu’il a construit son équation de survie sur le fait que “le monde entier nous en veut” et qu’“il y a un complot international contre nous”», résume-t-il. Ainsi, «plus on se mobilise, plus on dope l’équation du complot international», poursuit Kamel Daoud, aux yeux duquel le régime d’Alger est «faible, rancunier et violent», et l’Algérie «un pays qui bâtit son hyper nationalisme sur le refus du monde».

Interrogé sur les propos reprochés à Boualem Sansal, tenus dans le cadre du média «Frontières», le 2 octobre dernier, et portant sur les frontières qui séparent le Maroc de l’Algérie, Kamel Daoud a estimé qu’ils relèvent de sa liberté d’opinion. «Quand la France a colonisé l’Algérie, toute la partie ouest de l’Algérie faisait partie du Maroc: Tlemcen, Oran et même jusqu’à Mascara», déclarait pour rappel Boualem Sansal.

Cette position ne choque pas Kamel Daoud, qui dénonce au contraire l’hypocrisie des élites de gauche algéroises qui contestent à Boualem Sansal sa liberté de penser, mais «oseront-ils dire la même chose face aux prêcheurs islamistes qui, chaque vendredi, répètent la même chose: qu’il ne reconnaissent pas les frontières algériennes ni l’histoire algérienne?», questionne-t-il.

Interpellé par un auditeur de l’émission sur son point de vue quant à la position du régime algérien avec les Marocains, Kamel Daoud n’a pas caché son attachement au Royaume. «Je ne ferai jamais la guerre au Maroc. Je ne laisserai jamais mes enfants faire la guerre au Maroc. Je ne serai jamais l’ennemi du Maroc», a-t-il déclaré. Et de rappeler que «le Maroc est un pays qui a accueilli les indépendantistes algériens. Le Maroc, c’est aussi l’Algérie, avec un autre drapeau».

Refusant de souscrire au narratif fait par l’Algérie des frontières qui séparent les deux pays, Kamel Daoud conclut son interview par une vibrante promesse: «Je visiterai l’Algérie un jour, librement, et je visiterai le Maroc parce que c’est aussi mon pays».

Par Zineb Ibnouzahir
Le 13/12/2024 à 14h43