Nul ne peut nier l’engagement constant des littératures africaines, depuis leur émergence, dans la quête d’une résolution des questions politiques et sociales urgentes qui ont une résonance à l’échelle locale comme mondiale. Et si l’on s’en tient à la chronologie historique, l’esclavage, la colonisation, l’échec de l’indépendance, la mondialisation… sont autant de sujets susceptibles d’enclencher «l’acte d’écrire» en vue de relater, grâce à des formes empruntées à la littérature, des projets d’émancipation, voire des scénarios de sortie de crise.
Certes, l’attrait pour les œuvres contemporaines a souvent conduit les maisons d’édition et les lecteurs à faire l’impasse sur les grands textes des périodes passées. En cela, la première édition du Festival du livre africain est le parfait alibi pour revisiter les grands classiques, tels que «Le monde s’effondre» de Chinua Achebe, «Les Fils de la Médina» de Naguib Mahfouz, ou encore la récente saga de «Yaa Gyasi» (No Home), qui relate le destin de la descendance de deux femmes d’origine ghanéenne victimes d’esclavage.
Face à un public passionné qui a l’air bien décidé à prendre part aux échanges et s’invite dans les débats, les écrivains, intellectuels et journalistes se prêtent à leur tour volontiers au jeu, décryptent, commentent ou critiquent les œuvres de leurs confrères. La lecture indigène, les sujets touchant à l’omniprésente question du racisme ou encore celle de l’émancipation des femmes figurent parmi les thèmes favoris des auteurs africains.
Et bien que les questions de l’exil et de la défense des droits humains, en particulier des indigènes, sont autant de procédés communs aux littératures africaines, il faut dire que l’héritage colonial est une étiquette dont il serait difficile de se défaire. La perspective historique semble corroborer en tout cas ce constat.
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Avant le XXe siècle, la littérature africaine était largement transmise de manière orale, à travers des chants d’éloges, de travail et des poèmes religieux en diverses langues. Les contes étaient également une forme populaire de la tradition orale. Le genre romanesque en Afrique a émergé à la première moitié du XXe siècle, avec les auteurs africains s’inspirant, pour ce qui est des pays francophones, des romanciers coloniaux français.
A la suite de la Seconde Guerre mondiale, les auteurs africains ont commencé à explorer la réalité coloniale de leur propre perspective, donnant ainsi un témoignage sur leur environnement en constante évolution. Chinua Achebe est considéré à juste raison comme le père du roman africain moderne, et sa contribution a propulsé la littérature africaine sur la scène internationale. S’ensuit une période où les textes littéraires africains gagnent en maturité à mesure que de nombreux pays obtiennent leur indépendance.
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Pour certaines figures dissidentes présentes lors du Festival, il n’y a pas lieu de parler pour autant de souveraineté intellectuelle. «Pour prétendre à l’indépendance de la littérature africaine, le préalable, c’est que les écrivains s’expriment dans leur langue», tranche Baraka Sakin Abdelaziz, romancier et essayiste soudanais.
Un sujet clivant qui ne date pas d’hier, mais qui bute sur un paradoxe: peut-on prétendre s’émanciper du colon tout en perpétuant son héritage linguistique? Abdourahman Waberi, auteur de «Aux États-Unis d’Afrique», répond par la négative: «Certes, c’est un choix politique avant tout, j’en conviens, mais je dirais que les nations africaines se sont approprié la langue française, qui est devenue une langue africaine.»
Une polémique sans fin, mais dont le suspense est entretenu par la marge de liberté qu’offre ce Festival à ses prolifiques hôtes.