Tarik Saleh est un cinéaste étonnant. Pour ceux qui tentent de le suivre, il est assez déroutant. Comme s’il était double. Sa double nationalité (suédoise et égyptienne) se reflète dans ses films.
Il y a ses films «suédois», aussi froids et cliniques que le climat de la Scandinavie. Et il y a ses films «arabes», chaleureux et malicieux, comme l’idée que l’on peut se faire d’un citoyen arabe de base.
Comme son prédécesseur, le cultissime «Le Caire confidentiel», «Boy from heaven» est un thriller politique tourné dans de faux décors. On se rappelle que pour reconstituer les faubourgs du Caire et ses ambiances nocturnes, le réalisateur avait planté sa caméra dans les rues de Casablanca. Ici, pour filmer Al-Azhar, lui qui n’a pas le droit d’entrer en Égypte, eh bien il s’est tourné vers la Turquie. Et ça marche!
Dernière précision, dernier avant-goût: si vous avez aimé l’atmosphère et les «odeurs» d’un film comme «Le Nom de la rose», sachez que «Boy from heaven» est un film pour vous. Nous sommes dans le plus pur divertissement, mais dans une mécanique hyper bien huilée, hors du temps, avec un délicieux mélange de religion et de politique.
Le film fait aussi penser à «Habemus papam», le brûlot de Nanni Moretti, où le pape rend l’âme et où son remplaçant a du mal à assumer…
Nous voilà donc prévenus. Dans «Boy from heaven», il y a la petite histoire et la grande. La petite, c’est celle d’un novice, fils d’un pêcheur, un simple villageois qui débarque au Caire avec le rêve de devenir imam. Pour la grande histoire, l’imam d’Al-Azhar est mort et les candidats à sa succession sont légion: chaque clan a son favori, il y a les modérés, les radicaux… Et il y a l’État égyptien, bien entendu, qui vient mettre son grain de sel.
Derrière sa forme brillante, et derrière sa recette qui respecte parfaitement les règles et les codes du thriller, le récit cache bien son jeu, son propos, qui se dévoile comme une huitre longtemps fermée. C’est ce qui nous intéresse ici, le propos, ce «quelque chose à dire».
À sa manière, et en explorant les arcanes d’Al-Azhar, qui est l’équivalent de l’Église pour le monde musulman sunnite, Tarik Saleh explore en réalité les contours de cette équation qui tient le monde arabe depuis plus de quatorze siècles: dine wa dawla. Littéralement «religion et État». Avec cette question en toile de fond: est-il possible, dans le monde musulman, celui d’hier comme d’aujourd’hui, de séparer le pouvoir politique et le religieux?
Avec cynisme, mais aussi avec délicatesse, le cinéaste nous répond: non. Tout simplement. Et le happy end final n’y changera rien, c’est un mirage, une illusion…
«Boy from heaven» appartient à cette race en voie de disparition: celle du cinéma arabe qui a quelque chose à dire et qui ne tombe ni dans le jeu des allégories, ni dans les excès démonstratifs. Youssef Chahine avait tenté d’explorer cette voie, surtout dans ses derniers films, mais avec un bonheur inégal. Ici, Tarek Salah réussit son coup. Il secoue le cocotier, mais sans se prendre la tête, en restant dans le plaisir du cinéma. Cinéma de genre, qui plus est.
Même s’il a été retenu dans le dernier festival de Marrakech, où sa projection a été remarquée, «Boy from heaven» n’a pas trouvé de distributeur au Maroc. C’est aussi le cas dans d’autres pays arabes, et c’est dommage. Mais vous pouvez le découvrir via les plateformes de streaming. Ne le ratez surtout pas!