Dans «L’homme des signes», Vincent Elbaz incarne Mehdi Qotbi: coulisses et confidences d’un film très attendu

Vincent Elbaz et Mehdi Qotbi, le 30 mai 2025.

Vincent Elbaz et Mehdi Qotbi, le 30 mai 2025.

C’est un film fort en émotions qui s’apprête à prendre vie dans quelques jours. Réalisé et produit par Zhor Fassi-Fihri, tourné à partir du 3 juin entre le Maroc et la France, ce film consacré à la vie de Mehdi Qotbi, artiste franco-marocain et président de la Fondation nationale des Musées du Maroc, retracera l’incroyable parcours qui le mena des quartiers populaires de Rabat à la France, et in fine, à sa reconnaissance parmi les peintres franco-marocains qui ont marqué l’histoire de l’art.

Le 31/05/2025 à 08h34

Co-écrit par Jérôme Cohen-Olivar et Zhor Fassi-Fihri, qui officie également à la réalisation et à la production, L’homme des signes s’inspire librement de la vie du grand peintre franco-marocain Mehdi Qotbi. Son enfance, marquée par la violence et le manque d’amour dans les quartiers populaires de Rabat, a pris un tournant salvateur au lycée militaire de Kénitra. C’est là qu’il a découvert sa vocation d’artiste, dessinant pour la première fois un tigre sur un mur, avant de rejoindre la France —d’abord Toulouse, puis Paris— où se sont nouées ses plus belles et extraordinaires relations. Ce film, qui mêle à la fois éléments biographiques et fictifs, relate d’un vie d’un homme sur le berceau duquel aucune fée ne semblait s’être penchée à sa naissance, et à qui pourtant, la vie –celle qu’il a choisie de se construire- va sourire, chaque jour un peu plus.

C’est l’histoire de Mehdi Qotbi, et elle mérite bien un film tant sa trame dramatique et romanesque est riche en rebondissements et en anecdotes que le principal intéressé prend plaisir à raconter, fier de ce parcours qu’il a construit, avec toute la force de sa détermination et la puissance de sa foi, inébranlable. «Je me dis que je suis un être chanceux et que le bon dieu m’a gâté», confie-t-il pour Le360, quand il pose un regard sur son parcours.

Le récit d’une vie pas comme les autres

À ses yeux, ce film, dont il précise ne pas être l’initiateur de l’idée, est symbolique à plus d’un titre en ce qu’il s’adresse en premier lieu à la jeunesse marocaine. «Dans les moments les plus durs de mon existence, quand j’étais jeune, j’avais toujours l’espoir de m’en sortir. C’est cet exemple de résilience qui est important et que je souhaite absolument transmettre, afin de montrer aux jeunes que nous avons de la chance d’être dans un pays comme le nôtre, qu’il ne faut jamais baisser les bras, toujours garder espoir. C’est ce qui m’a toujours animé», explique-t-il.

C’est cette vision précisément que Mehdi Qotbi, l’artiste, partage avec Zhor Fassi Fihri, artiste elle aussi mais dans un autre genre, le cinéma. Après avoir travaillé avec acharnement sur la réécriture de ce scénario, telle une Pénélope tissant le jour l’ouvrage qu’elle défaisait la nuit, Zhor Fassi Fihri parvient enfin à trouver l’émotion qu’elle recherche, celle qui va pouvoir sublimer l’histoire racontée et lui permettre de donner à son film une dimension internationale avec un casting de divers horizons. Tout comme Mehdi Qotbi voit dans ce film un message d’espoir pour la jeunesse, Zhor Fassi Fihri y perçoit une opportunité de montrer à la nouvelle génération de cinéastes les nombreuses possibilités offertes au cinéma marocain. «À partir de Casablanca et de n’importe quelle ville du Maroc, on peut faire du cinéma avec des acteurs connus, d’ici et d’ailleurs, et mélanger les influences, les cultures en un mélange harmonieux», explique-t-elle ainsi, fière de ce film 100% marocain.

«L’idée du film vient d’elle. Pendant près de cinq ans, elle a lu ce qui a été écrit à mon sujet puis est venue me voir pour me soumettre son idée, me faire part de son envie de porter à l’écran mon histoire, qui, à ses yeux, peut donner de l’espoir à tous ceux qui pensent qu’ils ne sortiront jamais du désespoir», explique Mehdi Qotbi, qui a donné carte blanche aux deux co-scénaristes avec lesquels il a nourri de longs échanges lors de l’écriture du scénario. Pour l’heure, il se refuse à voir le film avant sa sortie en salle. «Je veux garder la surprise jusqu’au dernier moment. C’est une question de principe», confesse-t-il.

Ce film s’annonce ainsi non seulement comme le récit d’un parcours inspirant chargé en émotion, mais aussi comme une belle illustration de l’amitié franco-marocaine qui s’exprime dans la vie de Qotbi à travers son art. Au lendemain de la rétrospective de l’œuvre de l’artiste à l’Institut du monde arabe de Paris, qui s’est tenue du 15 octobre 2024 au 5 janvier 2025, l’annonce de ce film n’en est que plus intéressante en ce qu’il permettra (on l’espère) de donner les clés du mystérieux alphabet qui peuple l’œuvre de Mehdi Qotbi et sur lequel de nombreux grands noms de la littérature française se sont penchés pour mieux en décrypter la symbolique, d’Yves Bonnefoy à Michel Butor, en passant par Aimé Césaire, Andrée Chédid, Jacques Derrida, Édouard Glissant, Léopold Sédar Senghor, Octavio Paz ou encore Nathalie Sarraute.

Un casting international pour un film 100% marocain

Porté à l’image par un casting de haut vol, L’homme des signes met en vedette des acteurs des deux rives de la Méditerranée, à l’image de l’art de Mehdi Qotbi qui puise ses profondes racines des deux côtés de la Mare Nostrum. Inspiré et inspirant, ce «tisseur d’écriture», qui puise son identité dans sa culture et son patrimoine en s’inspirant tant des motifs des zelliges marocains que des tapis de son enfance, que tissait aussi patiemment que passionnément sa mère, ou encore de la beauté et du mysticisme de la calligraphie arabe, sera incarné à l’écran par deux acteurs.

Le jeune Mehdi sera ainsi interprété par le jeune espoir masculin du cinéma marocain Abderahmane Oukour, lequel passera ensuite le flambeau à l’acteur français Vincent Elbaz, qui campera le même personnage à l’âge adulte. Dans cette passation d’un même rôle entre deux acteurs porteurs de deux cultures différentes, il y a toute la richesse de l’identité de Mehdi Qotbi, profondément attaché à ces deux pays qui ont façonné son être, et qui œuvre sans relâche à bâtir des passerelles entre la France et le Maroc, et d’une certaine façon, entre son ancien moi et son nouveau moi.

L’homme des signes mettra également en vedette d’autres grands noms du cinéma, à l’instar de l’actrice espagnole Victoria Abril, muse de Pedro Almodovar dans les années 90 qui a marqué les esprits de toute une génération dans Talons aiguilles, où elle interprète le rôle de Rebecca. À l’affiche également, l’immense acteur français François Berléand, aussi à l’aise sur les planches qu’au cinéma, César du meilleur acteur en 2002 pour son rôle dans Mon Idole, de Guillaume Canet. À leurs côtés, dans des rôles clés, de jeunes talents du cinéma à l’instar d’Ayoub Abou Nacer, Galiam Bruno Henry, Hiba Bennani ou encore Philippe Caverivière, acteur mais aussi chroniqueur qui officie chaque semaine sur le plateau de l’émission Quelle époque!, animée par Léa Salamé sur France 2.

Le choix des acteurs, Mehdi Qotbi n’y a pas non plus participé et c’est avec ravissement que celui-ci a découvert le casting de haut vol du film. «J’étais tellement heureux de voir que des acteurs comme Vincent Elbaz, François Berléand ou encore Victoria Abril qui a bercé toute ma jeunesse, que j’admire beaucoup, qui m’ont fait rêver, qui m’ont faire rire aussi, vont peut-être aussi faire rêver d’autres personnes à travers mon histoire, vont peut-être rêver eux-mêmes à travers mon histoire», confie-t-il.

Vincent Elbaz et Mehdi Qotbi, une rencontre autour du couscous du vendredi

Mais au fait, que pense-t-il du choix de Vincent Elbaz pour interpréter son personnage adulte? Mehdi Qotbi part dans un grand rire avant de répondre à cette question, soulignant leur différence de taille et de physique en préambule, forçant le trait pour mieux verser dans l’autodérision, avant de rappeler à juste titre que «le cinéma est fait pour faire rêver» et en l’occurrence, ajoute-t-il, «Vincent Elbaz est un bel homme qui fait rêver et son choix m’emballe beaucoup».

Vincent Elbaz et Mehdi Qotbi, dans l'atelier de l'artiste, le 30 mai 2025.

Pour la petite histoire, les deux hommes se sont rencontrés pour la première fois à l’heure où nous écrivions ces lignes, un vendredi 30 mai, au Maroc, autour d’un délicieux couscous. Quelle meilleure occasion que la gastronomie marocaine pour faire connaissance! Cette rencontre avec Mehdi Qotbi, Vincent Elbaz, contacté par Le360 quelques heures après son arrivée au Maroc, alors qu’il visitait l’atelier de l’artiste après le déjeuner, la qualifie d’«enchanteresse». Entre les deux hommes, le courant passe naturellement.

«J’ai regardé des interviews de Mehdi Qotbi», nous explique Vincent Elbaz en évoquant la préparation de son rôle. «Parfois, on est très préparé pour jouer un personnage et parfois, comme c’est le cas de cette magnifique fable, on nous propose un film au dernier moment. Vous recevez un cadeau qui n’était pas prévu et on se prépare à l’instinct», poursuit-il. Pour interpréter Mehdi Qotbi, Vincent Elbaz suivra donc son intuition, explique-t-il, provoquant l’hilarité de Mehdi Qotbi. «J’ai rencontré Mehdi tout à l’heure. Dans deux jours, je vais le jouer mais je ne sais pas encore comment je vais le jouer. Déjà, j’ai compris qu’il fallait avoir un rire. Un grand rire. Je vais commencer par un éclat de rire pour le jouer», rit-il à son tour, avec presque la même intonation de voix. «C’est parce qu’on vient de se rencontrer», avance-t-il quand on remarque cette ressemblance qui s’installe déjà dans le rire. «Vous voyez, c’est comme ça qu’on travaille. Un peu par mimétisme mais il ne faut pas pour autant être dans l’imitation quand on est acteur», souligne-t-il, attaché à proposer sa propre interprétation de «son» Mehdi.

Entre réalité et fiction, le parcours de l’artiste et l’histoire d’un amour perdu

«Mon interprétation de mon Mehdi à moi n’est pas le Mehdi que vous connaissez. Je vais donc explorer et utiliser ma palette personnelle» afin de livrer la meilleure interprétation possible de ce rôle qui l’a littéralement bouleversé. À la lecture du scénario, Vincent Elbaz est profondément touché par «l’émotion du personnage qui a tout réussi sauf une chose, la plus importante dans l’histoire: il passe à côté de son grand amour. Il est très émouvant parce qu’il a beaucoup de charisme, un grand succès, il vient de tout en bas, il est arrivé tout en haut, il a connu l’ombre et la lumière mais il a raté l’amour de sa vie», explique Vincent ElBaz en rappelant un fait important, à savoir que cette partie de l’histoire «n’est pas la réalité car cette histoire d’amour est fictive et repose sur le point de vue de Zhor».

En effet, «il y a des moments de vécu et beaucoup de fiction», abonde Zhor Fassi Fihri, soulignant l’importance de créer un lien à même de connecter les épisodes de la vie du personnage. «Il y a donc dans ce film une part qui n’est pas réelle, celle d’un amour perdu, mais qui va ajouter une touche d’émotion au parcours de Mehdi dans le film», poursuit-elle.

Vincent Elbaz, Zhor Fassi Fihri et Mehdi Qotbi, le 30 mai 2025.

Le tournage du film commencera le 3 juin au Maroc et voyagera pendant six semaines à travers le pays, de Casablanca à Rabat, en passant par Benslimane, Ifrane et Tanger, puis pendant deux semaines, en France, entre Paris et Toulouse. En attendant sa sortie en salle, dont la date n’a pas encore été fixée, on ne peut qu’espérer que «L’homme des signes» fera la part belle à l’incroyable galerie de personnages historiques qui ont traversé la vie de Mehdi Qotbi. On pense ainsi à Jilali Gharbaoui, qu’il considérait comme un père, un guide et un ami et grâce auquel il vendit ses deux premières toiles et pu acheter ses premiers pinceaux et tubes de peinture. «Je n’oublierai jamais cet homme et sa générosité, son rire et la beauté de son visage», se remémore-t-il, ému.

«C’est la raison pour laquelle je considère que j’ai une vie incroyable, que je n’oublierai jamais de remercier le bon dieu pour cette chance que j’ai eue de croiser autant de gens qui marquent une existence, tels que Feu le roi Hassan II, notre roi Mohammed VI, Octavio Paz, Jacques Chirac, Aragon… Je me demande parfois même à quel siècle j’appartiens», conclut-il avec une pensée pour ces grands hommes (et femmes) grâce auxquels il a découvert la littérature française et appris la langue de Molière.

Par Zineb Ibnouzahir
Le 31/05/2025 à 08h34