Bien que le patrimoine et sa préservation soient souvent au cœur des discussions, laissant espérer une prise de conscience décisionnelle, certains lieux de mémoire, porteurs d’une fascinante histoire, sombrent dans l’oubli et plongent dans la négligence et l’abandon total.
Combien d’entre nous connaissent la Madrasah Amîriyah (École émirale), également appelée «Dar al-Omara» (Maison des Princes), une fondation royale au cœur de la région d’Ahmar, datant de la fin du 18ème siècle, et l’un des monuments historiques les plus importants de la région de Chemmaïa?
Au-delà de nos majestueuses cités impériales et de leurs édifices grandioses, quel destin attend les vestiges nichés dans des villes, des bourgades et même des hameaux autrement plus modestes, à l’écart des sentiers touristiques habituels?
N’est-ce pas là, pourtant, un levier exceptionnel de développement régional, attirant les visiteurs, créant des emplois et stimulant l’économie locale, tout en sublimant l’identité culturelle et le patrimoine dans leur ensemble?
Notre site a été érigé par le sultan Sidi Mohammed ben Abd-Allah dans le chef-lieu des Ahmar, tribu rangée parmi les Maâqil sahariennes dont on trouve les traces dans le Sahara occidental, dans le Souss (au sein des Houara, Massa…) et dans le Haouz de Marrakech.
Le lieu précis est Chemmaïa qui devrait son nom, selon la tradition, à la fabrication de bougies (chme’) tandis que d’autres versions attestent que le nom initial serait Kasbah Ismaîliya, en référence à la forteresse édifiée par le sultan Moulay Ismaïl, assurant une fonction de défense et de résidence avec ses différentes infrastructures depuis la mosquée et le hammam jusqu’aux logis d’habitation, en passant par les bâtiments militaires.
Le choix de l’emplacement pour l’édification de cette école émirale aurait été motivé par la volonté de créer un environnement propice à l’éducation à la fois académique et militaire, combinant du lever du jour au coucher du soleil, un enseignement exigeant et une discipline rigoureuse, à l’abri du tumulte et des dissipations des grands centres urbains tout en bénéficiant du savoir-faire ancestral de la région en matière d’équitation et de tir à l’arc.
«Dans une configuration normale, on aurait vu l’école amirale servir de musée, de centre culturel, de bibliothèque municipale… Ce ne sont pas les idées qui manquent pour la réhabiliter et la présenter à sa juste valeur.»
C’est ainsi que l’école émirale de Chemmaïa a formé des générations de princes dont certains allaient devenir sultans tels Moulay Slimane, Moulay Hassan ou Moulay Abd-el-Hafid; ainsi que de hauts responsables de l’État (juges, ministres, commandants de l’armée…), qui recevaient tous, une éducation classique et, chaque jeudi, des séances équestres dans l’espace adjacent appelé Sâĥat Chorfa.
Les cours dispensés étaient donc non seulement classiques englobant différentes disciplines religieuses, scientifiques et littéraires, mais consacraient une bonne part aux arts de la cavalerie et aux techniques de la guerre, dont l’enseignement, chaque mercredi, du tir à l’arc. Il faut dire que le savoir-faire des archers de la Zaouïa de Khennoufa et de la région d’Ahmar était légendaire.
Depuis le 16ème siècle, durant le règne saâdien et dans la mouvance de la guerre sainte contre l’occupation portugaise, la région a vu l’arrivée de populations issues du Sahara, du Draâ et du Souss, ainsi que de valeureux cavaliers et archers, tels que Sidi Ali Ben Nacer et son frère Sidi Saïd, adeptes de Sidi Ahmed Ou Moussa Semlali, considérés comme les ancêtres de la Zaouïa de Khennoufa.
Il va sans dire que la Madrasah Amiriyah a joué un rôle important dans le développement intellectuel de la région, avec des savants éminents, de la stature d’Ahmed Rifaï, Mohamed Ben Souda, Ibn al-Haddad al-Meknassi, el-Arabi Ben Rahhal al-Berbouchi, Mohammed Al-Haj Thami al-Oubiri, Mohamed Tayyeb Ben-l-Yamani…
Dans une configuration normale, on aurait vu l’école servir de musée, de centre culturel, de bibliothèque municipale… Ce ne sont pas les idées qui manquent pour la réhabiliter et la présenter à sa juste valeur.
Or, il est profondément choquant et totalement incompréhensible de constater l’état de délabrement et de ruine qui résulte de négligences successives affectant ce monument historique qui, jadis, était l’incarnation même de la science et la discipline.
Non loin de là, à environ deux kilomètres à l’ouest de la ville, dans un autre registre patrimonial, le lac salé de Zima, espace de biodiversité d’une superficie de près de 600 hectares, à haute valeur écologique et économique, nous contemple à son tour en demandant de l’aide face aux «nuisibles»…
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