On peut pointer, à juste titre, tous les retards, toutes les pesanteurs qui lestent encore l’élan de la société marocaine, ses aspirations au développement matériel et humain. Mais il y a un domaine où la fatalité semble ne pas avoir prise, où l’histoire connaît des accélérations contraires à ses habitudes. Ce domaine est, sans surprise, celui de la création artistique.
On se souvient par exemple de ce qui s’est passé au Maroc il y a un demi-siècle : l’irruption, imprévisible, d’un mouvement intellectuel, littéraire et artistique d’avant-garde qui, en l’espace de quelques années, a changé le contenu et la configuration de la culture marocaine, a permis à celle-ci de prendre en marche le train de la modernité et de s’inscrire dans une démarche de l’universel.
Depuis lors, beaucoup d’eau a coulé sous les ponts et, hélas, beaucoup de sang, dans maints endroits de la planète. Le nouvel ordre du monde que certaines puissances ont instauré s’est révélé être un désordre généralisé du monde. Des repères se sont perdus. Des valeurs, et en premier lieu celle de la vie humaine, ont été mises à mal.
Mais là encore, et au plus fort de l’épreuve, l’art ne s’est pas avoué vaincu. Il a réussi du moins à témoigner de ces bouleversements et à dénoncer les nouvelles formes de barbarie auxquelles nous sommes désormais confrontés.
Les jeunes artistes marocains, résidents sans complexe du village planétaire, se sont très vite positionnés dans cette guerre de tranchées où l’ennemi a pour visage la bêtise, la haine, l’indifférence, mais aussi le mauvais goût, le confort et la paresse intellectuelle, celle des cinq sens, sans oublier le matérialisme vulgaire. Si leurs aînés de la deuxième moitié du vingtième siècle avaient eu pour souci d’inventer, pour chaque moyen d’expression, une langue qui leur soit propre, eux, tout en bénéficiant de cet apport, s’attellent aujourd’hui à une autre tâche, celle de participer à l’élaboration d’une langue commune, une sorte d’esperanto de l’art dont le lexique et la grammaire peuvent être immédiatement intelligibles pour tout un chacun, où qu’il se trouve et quelle que soit sa culture d’origine.
Grâce à eux, donc, le panorama des arts plastiques chez nous a vu sa ligne d’horizon reportée au plus loin. Cela étant, il est devenu inconcevable que l’on puisse «négocier» ce qui relève de la liberté d’expression. Et cette liberté, pour notre bonheur, prend souvent, chez la nouvelle génération, les voies de la malice, de la dérision, et pourquoi pas de la décapante provocation.
Voilà ce qui nous autorise à affirmer en confiance que notre scène artistique connaît bel et bien un second souffle. Sachons donc accueillir celles et ceux qui l’incarnent avec les égards et la bienveillance qu’ils méritent.