“Je suis Leila Slimani”

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ChroniqueOui, vous avez bien lu: Je suis Leila Slimani. Et détrompez-vous, je ne suis pas tombé sur la tête et je n'ai pas changé de sexe. Cela dit, il est possible que, dans une vie passée, j'ai été une femme, ou bien, dans une vie à venir, je vais le devenir.

Le 08/11/2016 à 12h00

En effet, j'aime tellement les femmes, à commencer par la mienne – ça, c'est pour éviter une scène de ménage inutile – qu'on pourrait se poser bien des questions à mon égard, mais je vous rassure, et comme avait chanté Michel Polnareff, en montrant publiquement son postérieur: “Je suis un homme, et quoi de plus naturel en somme”. Dans tous les cas, mon propos est bien ailleurs. J'ai choisi ce titre pour plusieurs raisons.

La première, c'est pour rendre un immense hommage à sa hauteur et conforme à sa valeur, à ma consoeur et collègue de travail, dont j'ai eu plusieurs fois l'occasion de louer le talent tout en exprimant ma grande fierté de pouvoir bosser presque à côté d'elle et de la considérer comme une amie. Je ne vous dis pas la joie que j'ai ressentie dès que j'ai appris sa consécration au Prix Goncourt. D'ailleurs je l'ai aussitôt annoncé partout, en la félicitant, et en ajoutant, en guise de petit clin d'oeil, mon souhait et mon rêve de connaître un jour le même super sort qu'elle.

La deuxième raison de ce titre est encore plus profonde. Depuis quelque temps, nous n'arrêtons pas, souvent en singeant nos voisins d'en haut, d'adopter toutes les causes d'ici et d'ailleurs, en nous les faisant nôtres. Moi-même, qui semble me plaindre de cet état de choses, je vous avoue que je me suis laissé très facilement entraîner par cet élan probablement de bonne foi, de générosité et d'humanité. C'est ainsi que, personnellement, j'ai été, dans le désordre, «Je suis Gaza», «Je suis Charlie Hebdo», «Je suis Istamboul», «Je suis Haiti», «Je suis Bataclan»... et j'ai dû sûrement en oublier d'autres. Quant au Maroc, je crois que j'ai été... je ne m'en souviens plus. Je crois, et je ne sais pas pourquoi, que les causes marocaines ne m'inspirent pas beaucoup, même si certaines d'entre elles m'interpellent, mais en tout cas pas au point de me pousser à un «Je suis...».

Je ne dis pas qu'il n'y pas une cause marocaine qui mérite que je la fasse mienne, mais il se trouve que celles qui mobilisent généralement les troupes et surtout les masses, me laissent parfois pour ne pas dire souvent un peu froid. Et vice-versa. C'est-à-dire que les causes qui me touchent vraiment, ne touchent, en général, qu'une petite minorité. Ou du moins, elles n'arrivent à mobiliser que peu de gens, dont, souvent, votre humble serviteur et néanmoins grand râleur.

Justement, et pour revenir à Leila Slimani, je ne la connais que depuis très peu de temps, mais j'ai très vite remarqué que, contrairement à tellement d'intellos frileux et donc silencieux, elle, ce sont ces «causes minoritaires» qu'elle prend à cœur en n'hésitant pas une seconde à monter au créneau pour les défendre, et cela, bien avant qu'elle ne reçoive son dernier prix prestigieux.

Je ne vais pas parler des gueulantes qu'elle a poussées il y a quelques jours contre le populisme, la démagogie et l'hypocrisie de certains qui se reconnaîtront, mais je vais me limiter à deux sujets brûlants qu'elle n'a pas hésité à prendre tout de suite en main: l'affaire de la femme d'affaires adultère condamnée à une très lourde peine, et celle des deux fillettes mineures de Marrakech qui ont été emprisonnées juste après avoir été prises en flagrant délit de câlin sur une terrasse. Deux crimes impardonnables!

Alors, à un moment où tous les progressistes et modernistes de ce bled devraient se lever comme un seul homme ou une seule femme pour dénoncer ces aberrations d'un autre âge et d'une autre ère, on n'a pas vu grand monde s'émouvoir pour ces «criminelles», par contre, presque tout le monde était branché, et l'est toujours, sur la fréquence de Paris et de Hoceima. Je ne dis pas que ces causes ne sont pas importantes, mais les autres ne le sont pas moins, même si, avouez-le, elles ne sont pas rangées dans le rayon «politiquement correct». Justement, Leila Slimani, elle, se fiche pas mal de ce qui va plaire ou ne pas plaire, et dit, crie même, ce qu'elle pense, en faisant fi de tout ce que les bien-pensants de ce pays puissent penser ou ne pas penser d'elle.

Aujourd'hui, on n'en a pas beaucoup des comme elle, et même pas un petit peu, et c'est vraiment dommage. C'est pour cela que j'aimerais bien, si vous êtes d'accord avec moi, qu'on lance ensemble, et qu'on crie haut et fort jusqu'à ce que tout le monde nous entende: «Nous sommes toutes et tous Leila Slimani». Merci pour votre cri et pour votre soutien.

Et maintenant, je n'ai plus qu'à vous dire vivement plus de Leila Slimani dans notre pays, et vivement mardi prochain.

Par Mohamed Laroussi
Le 08/11/2016 à 12h00