C’est un tableau sans concession des femmes arabes que dresse Rita El Khayat, anthropologue, écrivaine et psychiatre, dans son dernier ouvrage «Les filles de Sherazade. Les femmes arabes».
Si la libanaise Joumana Haddad a tué Sherazade dans son dernier livre (J’ai tué Schéhérazade), autant dire que Rita El Khayat vient de s’assurer qu’elle était bien morte et enterrée dans notre inconscient collectif.
Mais pourquoi vouloir faire la peau à ce mythe, ce symbole de la femme orientale, qu’on imagine brune, belle, sensuelle et intelligente, héroïne et conteuse hors pair du récit des Mille et Une nuits?
Parce que nous, ces descendantes, avons toutes les raisons d’en finir avec l’ascendance qu’exerce encore sur nous cette mère originelle. C’est du moins la position campée par Rita El Khayat.
Dépeinte comme une anti-héroïne, elle n’est pas une super femme mais une victime, qui a quelque chose de pathétique. Ce personnage merveilleux, rêvé par les occidentaux, est en fait une fille qui s’offre en sacrifice, qui raconte des histoires, qui a choisit de se soumettre, qui utilise la ruse féminine et qui a donc décidé de jouer avec le roi en utilisant l’arme des faibles.
Mais pourquoi s’attarder sur ce mythe? Pour mieux comprendre et appréhender la condition féminine des descendantes de Sherazade, nous, les femmes du monde arabe.
Rassurez-vous, une fois n’est pas coutume, on ne vous bassinera pas en faisant l’apologie du féminisme. Rita El Khayat, après avoir flingué Sherazade, n’oublie pas de rayer de la carte les féministes de tous bords.
Hormis l’égyptienne Nawal Saadawi, sorte d’exception qui confirme la règle, les féministes arabes sont accusées de parler, parler et parler encore et encore… En vain. Leur erreur? Ne pas s’être penchées sur le passé, ne pas avoir étudié l’histoire, ne pas avoir adopté d’approche anthropologique, ni psychanalytique, pour étudier notre condition de descendantes d’une femme soumise, rusée et sacrificielle.
Car à quoi ressemblons-nous, nous, les filles de Sherazade? Eh bien, autant dire que ce n’est pas joli-joli, car avec nous aussi, Rita El Khayat ne prend pas de gants.
Selon l’auteure, nous émergeons à peine d’un long sommeil de plusieurs siècles. Après avoir dormi profondément en bonnes Cendrillons du XIIe au XIXe siècle, nous avons été tirées de notre torpeur par Napoléon lors de sa campagne égyptienne.
Le début du colonialisme marque alors le réveil des pays arabes dans lesquels les filles de Sherazade vivotent en habits de citadines ou de paysannes mais sont surtout, explique Rita El Khayat, les objets du patriarcat.
Mais tout d’un coup, l’école fait son apparition et avec elle l’accessibilité des filles à la scolarité. Au Maroc, il faudra attendre pour cela les années cinquante et ce changement n’est pas sans répercussions sur la société, qui peine de plus en plus à se reconnaître.
Car jusqu'ici, les filles ne sortaient pas. Elles étaient bien à l’abri de leur maison, protégées ainsi du danger masculin qui les guette à l’extérieur, elles, ces êtres si fragiles, tellement incapables de se défendre.
Avec leur scolarisation, elles sortent, s’exposent aux dangers, les affrontent, se libèrent de leurs peurs et participent à créer le nouveau visage d’une société basée sur un patriarcat qui perdure grâce aux matriarches.
Car pour mieux asseoir leur infériorité, elles peuvent compter sur les plus âgées d’entre elles, qui pratiquent ce que l’auteur nomme un «matriarcat de soubassement» et dont le pouvoir s’étend et se limite au cadre familial.
Mais si les esprits féminins commencent à peine à se nourrir intellectuellement, à se cultiver, ce n’est pas pour autant que la liberté est à portée de main. Pour cela, il faudrait qu’on soit libre d’aimer un homme, de vivre sa sexualité. Toutefois, considère Rita El Khayat, ce musèlement des femmes et des hommes et leur enfermement par la famille arabo-islamique a une raison bien précise: les personnes libres de leurs sentiments et de leurs émotions échappent au pouvoir.
Et aujourd’hui, où en est-on? Et bien pas loin si l’on en croit Rita El Khayat, qui cite l’Unesco, selon laquelle les femmes arabes sont les plus analphabètes au monde, ou encore l’OMS, qui déclare de son côté que nous sommes aussi les plus dépressives.
Que peut offrir une femme analphabète et dépressive à ses enfants s’interroge la psychiatre? Rien. Elle sera une épouse et une mère «incompétente». Le mot claque comme un coup de fouet et fait mal.
Elle y va un peu fort tout de même, se dit-on à bout de souffle, après autant d’uppercuts balancés en pleine figure, mais elle n’a pas encore fini, Rita El Khayat. Cette femme arabe-là, poursuit-elle, qui vit pour se trouver un mari et faire des enfants, ne peut pas dresser un cadre familial normal et ne peut pas assurer une fluidité dans les sentiments ou les relations.
Devenues des dégénérées au fil du temps, les filles de Sherazade sont à ce point opprimées qu’elles en sont devenues violentes. Et devinez quoi, cette violence va être transmise aux garçons qui, nous explique l’auteure, exploseront plus tard, à la place de leur mère.
Alors que faire pour sortir de ce cercle vicieux? Tordre le cou au féminisme, repenser un système social basé sur l’harmonie entre les sexes et surtout avoir le courage, nous, femmes arabes, de nous attaquer à notre condition, ce qu’elle fut et ce qu’elle sera dans le futur.