Rien que la semaine passée, dixit l’ONG Médecins Sans Frontières, quatre enfants et sept femmes ont été retrouvés morts en mer Méditerranée. C’était mercredi dernier, à bord d'un bateau pneumatique surchargé, quand 126 passagers avaient été interceptés par les garde-côtes libyens et renvoyés en Libye.
Deux jours plus tard, le samedi 2 avril, un autre drame, un énième, sur cette route migratoire, la plus dangereuse du monde: plus de 90 personnes sont mortes après avoir passé plusieurs jours en mer. Les causes de leur mort ne sont pas connues. Quatre personnes qui ont survécu à ce drame ont été secourues par un pétrolier, qui les a ramenées en Libye, toujours selon MSF, qui dispose d’un navire qui patrouille dans cette zone, à la recherche de rescapés.
Ce sont ainsi, selon l’ONG, plus de 100 personnes qui sont mortes rien que la semaine dernière, sur cette portion de la Méditerranée, dite «centrale», qui relie la Libye à l’Italie ou Malte, où il y a eu, depuis 2014, plus de 23.500 morts et disparus, dont 2.048 pour l'an dernier.
MSF a dénoncé pas plus tard qu’hier, dans un communiqué, «l’indifférence de l'UE et de ses Etats membres face au nombre croissant de morts inacceptables», a expliqué que les incidents survenus en mer résultent «des politiques migratoires de l'Union européenne», et a estimé que «ces mêmes dirigeants et institutions européennes [qui] expriment leur plus profonde solidarité avec les réfugiés fuyant l'Ukraine, [réservent un traitement étonnant] à d'autres fuyant des situations de violence dans leur pays d'origine et/ou tout au long de leur parcours migratoire».
Il y a en effet lieu de s’étonner de cette politique de deux poids, deux mesures, pratiquée par les Etats-membres de l’UE, pour des êtres humains, a priori nés «libres et égaux en droits» (l'ironie paraît grinçante, là): d’un côté, des réfugiés ukrainiens accueillis à bras ouverts, auxquels on offre des logements, une scolarisation immédiate pour leurs enfants, des emplois… De l'autre, des Africains, des Noirs, des Arabes, des «métèques», qui meurent, noyés ou déshydratés, et qui doivent, s'ils atteignent l'Europe, y survivre sans que personne ne les accueille autrement que par des regards où le mépris le dispute à un immense sentiment de supériorité... La tragédie des réfugiés ukrainiens est-elle supérieure à celle que vivent ces autres immigrés, ces «boat people» venus d’Afrique, qui fuient, eux aussi, la violence? Qui fuient également la misère?
En 8 ans, il y a donc eu plus de 23.500 morts venus d'Afrique aux portes de l’Europe, et cette portion de la Méditerranée est devenue le cimetière de certains de ceux qui s’y sont aventurés… Un nombre qui donne le vertige, quand personne, parmi les dirigeants de l’UE, ne bouge le petit doigt. Quand, et selon le dernier décompte du Haut-Commissariat aux réfugiés (HCR) de l'ONU, plus de 4,24 millions de réfugiés ukrainiens ont fui leur pays depuis le 24 février dernier, jour du déclenchement de la guerre en Ukraine. Une situation inédite en Europe depuis la Seconde Guerre mondiale.
A ceux-là, les frontières de l'Europe sont grandes ouvertes… Aux autres, elles restent fermées. Au Parlement européen de Strasbourg, en 2015, une liste de 100 mètres de long, comportant les noms de 17.306 personnes noyées en mer Méditerranée en tentant de migrer depuis 1990, avait été déposée sur le sol d’un couloir, pour que les députés européens, que le président de la Commission européenne de l’époque, Jean-Claude Junker, et que le président du Conseil européen d’alors, Donald Tusk, prennent conscience de la gravité de ce qui se déroule aux portes de l’Europe.
Non seulement cette initiative, un «évènement Facebook», avait été vaine, mais certains des députés présents avaient trouvé opportun de marcher sur cette liste... Bref, de la fouler littéralement aux pieds. Avec tout ce que cela comporte comme indifférence, comme mépris envers des humains tragiquement morts, alors même qu'ils entretenaient l'espoir d'une vie meilleure.
Mesdames et messieurs les dirigeants de l’UE, vous faut-il acquérir une conscience? Malheureusement, cela ne s’achète pas… Ces êtres humains-là, pauvres, désespérés, meurent dans l'indifférence généralisée de riches autres humains. Et quand, par miracle, elles et ils atteignent l'autre rive, elles et ils se heurtent à une haine qui ne dit jamais son nom. Ces êtres humains-là sont originaires d'Afrique. La couleur de leur peau, les traits de leur visage, ne ressemblent certes pas à ceux des Ukrainiens.
Question faussement naïve, à laquelle je vous laisse répondre: quel est le problème, exactement?