Je m'étais retrouvée un matin, lunettes sur le nez, à hurler dans ce qui ressemble aujourd’hui de plus en plus à un jardin (je vais bien, et me revoici, toujours près d’Essaouira, où je vis encore dans une petite maison, désormais meublée comme il se doit).
J’étais concentrée sur mon travail et, l’instant d’avant, je me trouvais devant mon ordinateur.
La cause de ces hurlements? Vous pouvez soupirer, et je vous comprends: une femme de ménage, une jeune fille de 19 ans, qui venait réclamer son dû, après que je l’avais congédiée, ayant découvert des tricheries, des moqueries, peut-être des vols, accusation grave, que je ne peux prouver.
Il avait fallu rapidement, une fois ma décision prise, changer les serrures, lui signifier son congé, et reprendre moi-même, tant bien que mal, le ménage de mon intérieur.
Ce matin-là, la bougresse, qui savait pourtant mes horaires, s’était faite insistante. Cela sonnait sans arrêt et sans cesse, à la fois sur mon téléphone et à la porte, tant et si bien que déconcentrée de mon travail, je m’étais mise à copieusement hurler, depuis mon petit jardin, sur les inconnus (elle avait ameuté, il me semble, plusieurs de ses amis) qui me harcelaient ainsi.
Porte extérieure en métal close, bien entendu. Je n’avais, à aucun moment, ouvert la porte.
Confrontée à ce qui était, de fait, un véritable harcèlement, je les avais avertis, en hurlant à pleins poumons, de ce que je me m’apprêtais à faire: appeler la police.
J’étais ensuite rentrée à la maison, avais violemment claqué la porte.
Alors que je me dirigeais vers la petite pièce qui me sert de bureau, quelque chose d’extraordinaire s’était produit: une tasse, que j’avais achetée d’une grande enseigne espagnole, et qui se trouvait en équilibre sur le sèche-vaisselle, était tombée et s’était brisée net sur le sol.
Je l’avais ramassée. Puis avais eu cette exclamation, reconnaissant instinctivement les vieilles origines de mes cris: «ah oui, c’est ibère!»
Je suis en effet issue d’une de ces villes marocaines autrefois peuplées de nombreux réfugiés de la Reconquista espagnole, au XVe siècle… Vieilles roots… Parfois, c’est drôle, mais c’est ainsi, je reconnais, dans certains de mes rires, l’appel des tréfonds des siècles. Certains de mes rires, particulièrement tonitruants, auraient très bien pu être lancés par quelques-uns de mes ancêtres, qui n’hésitaient pas à canonner des caravelles sur l’Atlantique…
J’avais poussé des hurlements ibères, donc, ce matin-là, et une tasse espagnole s’était brisée net, dans une drôle de synchronicité, presque au même moment. Mais laissons-là le fracas des siècles, celui de l’histoire à la fois cruelle et trouble de la ville où je suis née, du pays dont je suis issue.
Atterrissons dans notre dure réalité marocaine du XXIe siècle. La police avait immédiatement débarqué suite à mon appel, et j’avais raconté ma mésaventure à un officier, venu en preux chevalier à ma rescousse. Ils étaient ensuite repartis bredouilles, le comité harceleur ayant renoncé à son équipée après mes menaces.
La vie de cette jeune femme, que j’avais voulu aider, est en fait infiniment triste. Née de père inconnu, ayant partiellement grandi dans un orphelinat, elle vivotait -vivote encore- du ménage qu’elle effectue toute une journée durant, une fois par semaine, dans une maison à trois étages, à raison de 200 dirhams par séance.
Je l’avais reçue, avais compris sa situation, et lui avais proposé, parce que cela me paraissait être un devoir, de venir à la maison, trois fois par semaine, nettoyer ce qu’il fallait. En tout, trois heures de travail par séance, et un revenu mensuel bien au-delà du salaire minimum en vigueur au Maroc. A charge pour elle de se constituer un projet de vie, pour lequel j’étais prête à l’accompagner.
Mais voilà, manque d’éducation, inconscience de la jeunesse, ou je ne sais… Je m’étais retrouvée confrontée à toute une série de tricheries, dans une maison loin d’être propre! Et à une jeune femme qui ne semblait pas vouloir débuter un projet concret, alors qu’elle a du talent, il m’avait semblé, sachant correctement dessiner.
N’ayant pas pour vocation d’être Mère Teresa, ou Sœur Emmanuelle, j’avais dû renoncer à cette idée de l’accompagner, un temps, dans le tout début de son existence. Elle a raté là un coche, mais pas sa vie. J’espère seulement que cette dure histoire lui servira un jour.
Elle avait bien entendu ensuite été rémunérée, mais seulement lorsque ma session de travail avait pris fin... Et franchement, qu’auriez-vous fait à ma place?
PS. Hier matin, une note vocale vers 10 heures… J’étais à nouveau en plein labeur, devant mon ordinateur. D’une voix ensommeillée, celle qui l’a remplacée m’a annoncé qu’elle était en voyage, et qu’elle n’allait donc pas venir nettoyer mon chez-moi. Il pleuvait des cordes… Non, je crois que je vais tout simplement m’y mettre moi-même. Après tout, cela devrait être faisable. Au diable la paresse!