Il est d’usage dans toutes les économies modernes que le chef du gouvernement, en prévision de l’établissement du budget de l’exercice suivant l’année en cours, adresse aux ministères et autres organismes concernés, une lettre de cadrage qui rappelle les grandes orientations économiques et sociales de son gouvernement et les objectifs à atteindre en termes de croissance et d’équilibre budgétaire. C’est l’étape qui précède l’établissement du budget général de l’Etat.
L’intérêt de ce document, dont l’importance est reconnue par tous, est d’éclairer aussi, à travers les hypothèses qu’il retient comme pertinentes et les objectifs qu’il se fixe, l’ensemble du corps législatif, les décideurs économiques du pays, publics et privés, sur l’évolution à court terme de l’économie. Il assure une visibilité économique et contribue à améliorer la gouvernance générale de la nation.
Cette année, la lettre de cadrage du chef de gouvernement a connu des modifications dans sa forme et son contenu. Obligée de tenir compte d’une conjoncture internationale pleine d’aléas, elle a opté pour la prudence en avantageant le côté qualitatif à travers le rappel des multiples chantiers en cours au détriment d’hypothèses et objectifs chiffrés. Au risque de bousculer les traditions de cet exercice et de réduire son intérêt.
Il faut dire qu’il y a une dizaine de jours, on a été prévenu de ces changements. Lors de son passage à l'émission Grand Format-Le360, la ministre des Finances, Nadia Fettah Alaoui, avait attiré l’attention sur l’inanité de retenir des hypothèses de travail dans la construction du budget, tout en sachant qu’elles connaîtront fort probablement un changement. Apparemment, elle a été entendue, même très bien, puisque la lettre de cadrage a préféré ne pas s’engager sur un prix moyen du baril de pétrole, sur le volume de la prochaine campagne céréalière, ni sur un taux de croissance. Doit-on lui donner raison?
Tout en n’excluant pas le fait que le chef de gouvernement ait voulu s’accorder plus de temps pour formuler des hypothèses de travail et un objectif de croissance plus réalistes, le projet de loi de finances devant être déposé au Parlement en octobre, il faut rappeler que c’est sur ces données que beaucoup d’opérateurs économiques travaillent habituellement pour établir leurs propres budgets. Le retard dans l’information risque d’entraîner des réactions en chaîne dans certains secteurs économiques. Par ailleurs, se fixer un objectif de croissance permet une mobilisation conséquente et concrète pour récolter les ressources. L’objectif de croissance favorise un travail rationnel et volontariste.
Autre point qui pourrait expliquer la prudence de la lettre de cadrage: le manque de réactivité de nos parlementaires face à une éventuelle rectification d’une loi de finance, facteur dissuasif pour le gouvernement. Nos parlementaires ne sont pas rodés à cet exercice qui, dans d’autres pays, s’apparente à une formalité, et auront tendance à croire qu’il s’agit de refaire l’ensemble de la loi. Voire à formuler de nouvelles exigences. Il vaut mieux éviter une perte de temps.
On comprend les réticences du gouvernement à s’enferrer dans un débat «précoce» sur un éventuel taux de croissance, d’autant que le taux de 6% fixé par la Commission spéciale sur le modèle de développement est dans tous les esprits. Toutefois ne pas en parler, c’est obstruer les horizons et passer à côté de plusieurs orientations intéressantes contenues dans la lettre.
Comment ne pas soutenir l’orientation franchement sociale du budget? Le Maroc, suite aux orientations du roi Mohammed VI, est décidé à mettre en place l’Etat social réducteur des inégalités entre les différents individus, les différents territoires, à améliorer la qualité et l’accès aux services publics: couverture sociale, système de santé et d’enseignement. Bref, parfaire la construction d’une « nouvelle citoyenneté».
Comment ne pas relever, aussi, la volonté du gouvernement de s’attaquer aux retards qu’accusent plusieurs investissements. Ce qui donne l’impression que nous sommes dans l’incapacité de mener à bien et dans les temps les chantiers en cours. Que faire alors quand la croissance reviendra et que les chantiers se multiplieront? Notre management public est appelé à s’améliorer.
Deux années de pandémie, la crise internationale, la sécheresse et l’inflation mettraient à rude épreuve les capacités de tout gestionnaire de la chose publique. A lui de redoubler d’efforts et faire preuve au-delà de la maîtrise technique, d’un brin d’imagination qui peut le différencier qualitativement des autres.