Privé sans éthique

Famille Ben Jelloun

ChroniqueLa manière dont certaines cliniques se conduisent actuellement dans la lutte contre le Covid-19 a été maintes fois exposée et dénoncée par les médias et des témoins. Pendant ce temps-là, que fait le gouvernement? Il laisse faire.

Le 16/11/2020 à 11h00

Un gouvernement qui abandonne, en partie, la santé et l’éducation au secteur privé, même si c’est dans une moindre mesure, est un gouvernement irresponsable.

Gouverner, c’est non seulement prévoir mais aussi et surtout assurer au peuple une bonne éducation et un bon système de santé. Or, chez nous, ce sont ces deux domaines qui souffrent le plus. Ce n’est pas une question de budget. C’est une question de vision du politique et de la suprématie de l’intérêt national. L’argent, les moyens et les hommes existent. Alors pourquoi ça ne va pas? Et cela dure depuis longtemps, trop longtemps.

Cela fait des décennies que les citoyens se plaignent du niveau de l’école et de l’hôpital. Une mauvaise gérance de l’argent de l’Etat, un manque flagrant d’exigence et de sérieux, un laisser-aller et une quasi-absence de contrôle, ont ouvert la voie au privé dans ce qu’il a de plus ignoble, c’est-à-dire de faire de ces deux secteurs un business intolérable.

M. Saaïd Amzazi, ministre de l’Education nationale, a déclaré devant les députés que «140 250 élèves sont passés du privé au public au titre de l’année scolaire 2020-2021, contre 52 000 l’année précédente». On sait que la part du secteur privé est de l’ordre de 11 à 12% par rapport au public.

Est-ce à dire que l’état du public s’est amélioré au point que des parents aient préféré faire confiance à la politique de l’Etat dans ce secteur? Non, c’est la crise économique qui les aurait poussés à confier leurs enfants à l’école publique. Pendant ce temps-là, le privé continue son business en toute tranquillité.

La réforme de l’Education nationale, maintes fois étudiée et préparée est restée en suspens. L’ancien ministre Mohammed Hassad avait entamé la mise en application d’une réforme qui avait été préparée par une commission sous la houlette de Omar Azziman, une personne de qualité, au-dessus de tout soupçon. Cela semblait aller dans le bon sens. Malheureusement, il a été interrompu dans son élan et relevé de ses fonctions. Ceux qui lui ont succédé, me semble-t-il, n’ont pas continué ce qu’il avait mis en marche.

Le Maroc a fait le choix d’une économie libérale. Le privé a droit à exercer. Mais dans quelles conditions et avec quel cahier des charges?

Cela nous amène à évoquer le scandale des cliniques privées, scandale plusieurs fois dénoncé dans les médias, mais ça se poursuit avec une arrogance inadmissible.

Dernièrement, un membre de ma famille a été admis dans une clinique dans un état grave. Avant toute chose, il fallait déposer la somme de vingt mille dirhams en espèces. Pas de chèque. Ensuite, il a été si mal soigné, qu’il est décédé six jours après son admission. Le corps du défunt n’a été autorisé à quitter la clinique qu’une fois la somme de 90 000 dirhams ait été déboursée en espèces, bien sûr.

Je pense que c’est le cas un peu partout dans le pays. Il est normal qu’une clinique se fasse payer le travail qu’elle a fourni. Mais ce qui est insupportable c’est l’exploitation de la détresse et le malheur de la famille, en exagérant le montant des factures. Quel est le fils qui, à l’annonce de la mort de son père, va négocier les sommes réclamées par la clinique? Son cœur, sa vie, sont dans le malheur et le deuil. Il n’a pas la tête à discuter avec un chef de clinique qui exige des sommes énormes ne correspondant pas au travail fourni.

Qui va mettre de l’ordre et de l’éthique dans ce business devenu florissant vu que l’état des hôpitaux est lamentable? J’ai appris (de la bouche d’un ancien ministre connu pour sa compétence et son intégrité) que le fisc aurait accordé aux cliniques le droit à un forfait minime par rapport aux sommes qu’elles engrangent.

Le gouvernement doit intervenir et mettre de l’ordre dans cette situation que des milliers de familles dénoncent. La chose est simple. Il suffit d’un contrôle systématique de la manière dont la clinique fonctionne en établissant le prix des différentes interventions en tenant compte du pouvoir d’achat du citoyen marocain. Le fisc devrait participer à ces contrôles afin que les cliniques cessent d’être une source d’enrichissement immoral en exigeant d’être réglées en espèces afin de payer moins d’impôts.

La manière dont certaines cliniques se conduisent actuellement dans la lutte contre le Covid-19 a été maintes fois exposée et dénoncée par les médias et des témoins. Pendant ce temps- là, que fait le gouvernement? Il laisse faire.

Le Maroc dispose d’un corps médical de qualité dans l’ensemble. Ses facultés de médecine ont une bonne réputation. Alors pourquoi ça ne fonctionne pas quand il s’agit de soigner des citoyens? Le mal est l’environnement global dans lequel nous évoluons sans réagir, attendant que les solutions tombent du ciel.

Cet environnement sent mauvais. La corruption et la rapacité font bon ménage. Un coup d’arrêt devrait être donné au plus tôt à cette situation qui inquiète les citoyens qui n’ont pas les moyens d’aller (bien) se faire soigner à l’étranger. Une commission d’enquête composée de personnes compétentes et intègres devrait aller voir comment certaines cliniques se conduisent comme c’est le cas en Amérique: avant de recevoir un malade, qui se présente parfois dans les urgences, on réclame à sa famille non pas sa carte de crédit comme aux Etats-Unis, mais de l’argent en espèces. Sinon, qu’il crève. 

Basta de cette délinquance dont souffre le peuple marocain.

Par Tahar Ben Jelloun
Le 16/11/2020 à 11h00