Ne dérangez pas la darija

Tahar Ben Jelloun.

Tahar Ben Jelloun. . DR

ChroniqueIntroduire l’étude de la darija à l’école, c’est simplement démagogique et inutile. En revanche, rien ne nous empêche de repenser la langue classique et la rendre plus malléable afin que le maximum de personnes puisse la comprendre. La réformer, la simplifier, lui donner un statut plus modeste.

Le 10/09/2018 à 11h01

On ne va pas à l’école pour apprendre une langue qu’on connaît déjà puisqu’on la pratique quotidiennement. Avec, dans certaines régions, l’amazighe, la darija est la langue de communication de l’ensemble des Marocains. En classe on apprend la langue mère, la langue d’origine, la source, la langue classique, langue du Coran. Pourquoi faut-il bien maîtriser la langue classique? C’est le moyen qui donne un sens à la notion quelque peu malmenée de l’arabité. Lorsque deux Arabes se rencontrent, ils sont obligés de recourir à la langue classique pour communiquer. Si chacun utilise sa darija ou son dialecte, ce sera un dialogue de sourds.

Je sais que le monde arabe est une fiction ou plus précisément une déception. Mais ce qui nous lie encore un peu c’est la langue écrite, c’est le livre. Je sais aussi qu’un livre publié en Egypte a du mal à circuler d’un pays arabe à un autre. Je sais aussi que les citoyens arabes ont pour la plupart déserté la lecture. Un best-seller en Egypte, me disait à l’époque le Nobel Naguib Mahfouz, c’est trois mille exemplaires! Il voulait aussi me signaler que la piraterie et le vol font le reste. Triste constat qui n’a pas changé.

Ce n’est pas une raison pour abandonner la langue d’Al Jâhiz (776-867) ou d’Ibn Arabi (1165-1240) pour la remplacer par un sabir que ne comprendra que celui qui l’utilise.

Introduire l’étude de la darija à l’école, c’est simplement démagogique et inutile. En revanche, rien ne nous empêche de repenser la langue classique et la rendre plus malléable afin que le maximum de personnes puisse la comprendre. La réformer, la simplifier, lui donner un statut plus modeste, cela est possible, mais je ne vois pas des linguistes se pencher sur cette vieille et belle dame pour la mettre au niveau du plus grand nombre de gens.

Le fossé entre les intellectuels arabes et la population est énorme. Il est ancien et toujours incompréhensible. Non seulement ils s’isolent avec une langue faite pour l’élite, mais ils ne font pas l’effort d’écrire une langue arabe plus proche de la population. Cela dure depuis très longtemps, sauf qu’aujourd’hui, la communication évolue et on ne peut pas continuer à ignorer les avancées que font les autres langues dans le monde. Deux Arabes de pays différents auront parfois recours à l’anglais ou le français pour se faire comprendre. C’est que ni l’un ni l’autre ne maîtrise l’arabe classique.

Il faudra trouver une langue entre la pureté du classique et une facilité de compréhension de la part du grand public. Cela pourrait se faire à travers la presse et le cinéma. Se dégager lentement de la darija de chacun pour investir une langue classique à la portée de tous. Cela, des linguistes modernes pourraient tout à fait le faire et le réussir. Mais apparemment personne ne le leur demande.

Au Maroc, j’ai lu l’autre jour un recueil de poésie écrit entièrement en "amyia", c’est-à-dire en darija. L’auteur, c’est Mourad El Kadiri, président de «La Maison de la poésie au Maroc». C’est un poète, sans conteste. Mais son recueil ne franchira aucune frontière arabe. C’est le signal d’un repli, d’une fermeture sur soi. La tentative est sympathique, car la darija est une langue férue de poésie, de métaphores et de symbolisme. C’est beau à entendre. Mais si chacun se mettait à écrire dans sa darija, il n’y aurait plus aucun contact possible entre les Arabes.

J’entends certains soupirer et dire «tant mieux! On n’a rien à faire ensemble!». Oui, peut-être, mais n’insultons pas l’avenir. Le drame actuel du monde arabe – il dure depuis plus d’un demi-siècle – finira un jour par s’épuiser et donner la paix aux centaines de millions de citoyens qui n’en peuvent plus des guerres, des dictatures et du parti unique. On a tous nourri de l’espoir avec ce qu’on a appelé trop vite «le printemps arabe». On sait ce que cela a donné. Ibn Khaldoun a dit aux Arabes de son époque leurs quatre vérités. Le contexte a changé, mais les problèmes, notamment linguistiques, demeurent et s’aggravent.

La darija vit et se porte à merveille. Ne la cassons pas en l’introduisant dans l’école. Elle est libre, belle, inventive et surprenante. En revanche, plus que jamais, l’arabe classique devrait être enseigné avec rigueur et exigence. Car sa beauté, ses mystères et sa force rayonnent au-delà du monde arabe qui, lui, ne se porte pas si bien.

Par Tahar Ben Jelloun
Le 10/09/2018 à 11h01

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Il n'est pas nécessaire d'être assez intelligent pour comprendre comment les mentalités collectives des Français fonctionnent . Il suffit de marquer une différence si minime qu'elle soit pour assister à des réactions primaires qui pourraient se transformer en des formes d'hostilité sans limites. Si par malheur, cette différence atteint à niveau intelligibilité différencié par des mécanismes psychologiques et intellectuels forts, vous serez immédiatement soumis à des accusations systématiques qui pourraient vous conduire à une expertise psychiatrique. Les hostilités contre la langue arabe ici en France ne date pas d'aujourd'hui. Elles s'inscrivent dans une vision spécifique d'un système qui fait ravage dans le fonctionnement cognitif de l'ensemble des hexagonaux : L'idéologie française. Par ses défaites à l'intérieur de ses foyers et à l'extérieur, elle exprime parfaitement ce que Michel Crozier (1995) appelle : La crise de l'intelligence. Apprendre la langue arabe n'est pas une petite promenade de l'esprit. Par la richesse de sa complexité syntaxique et ses dimensions sémantiques, elle invite à la mobilisation des capacités cognitives dans sa connaissance et sa compréhension. A défaut de procéder par l'esprit de connaître et de comprendre, la majorité des Français préfèrent accuser et juger dans une sensibilité fiévreuse ensevelie sous une impotence affective, un pur alibi de la médiocrité de leur vision.

Merci M.Benjelloun pour tous les articles que vous avez fait paraître sur le 360. Vous y abordez des sujets d'actualité, avec un style simple, à la portée de tous et plus précisément des jeunes qui lisent de moins de livres!... Trop longs!... Trop compliqués!...Voilà! Ils préfèrent des textes courts, concis, pas trop littéraires! Les nouveaux médias ont forgé une nouvelle mentalité et des habitudes de lecture, jamais vues avant!

Vous deplacez le debat. L'introduction de la darija dans le pre-scolaire vise d'abord à repondre à une problematique specifique: le taux d'echec elevé durant les premieres années du primaires... Qui mene au decrochage. Les pays qui ont introduit l'enseignement avec La langur maternelle durant le pre-scolaire ont diminué considerablement le decrochage.

D'après mr benjeloune les français ne doivent pas aller à l'école puisqu'ils parlent français à la maison.L'enfant doit etre recu à l'école par sa langue maternelle même l'UNESCO le recommande

Regain d intérêt pour l arabe classique apres la connerie de Ayyouch.C est sûr.lui qui a voulu l enterrer,au fond il lui rend un fier service.il l a ressuscitée

si Tahar, personne n"a dit que darija doit être la langue d'enseignement même si celle là est notre maternelle. Nous apprenons l'arabe classique exactement comme nous apprenons les autres langues. Mon père et ma mère ne comprennent pas la langue Fosha. souvent je suis obligée de leur expliquer le discours du Roi. dans tous les cas même Ayouch qu'on traite de tous les noms parce que nous sommes un peuple respectueux! n'a jamais dit qu'il faut adopter la darija comme langue d'enseignement. je vous propose de lire les recommandations du colloque qu'il organisé en 2014 où il est dit que les enfants du préscolaire doivent être accueillis dans leur langue maternelle. ceci dit, il ya beaucoup de musulmans qui ne parlent pas pas l'arabe et sont plus musulmans que ceux qui parlent arabe. Et dans la pratique, dans la classe, toutes les matières sont expliquées en darija: même le français. Ceci dit comment traduire Bghrir ou batbout en Fousha? le problèmes est plus grave que l'introduction de la darija. Naguib Mahfoud a laissé des romans magnifiques et on y trouve la darija egyptiènne et ça n'a pas affecté sa valeur littéraire!

Voilà un article bien pensé... L'arabe "al fosha" devra non seulement être enseignée rigoureusement dans nos écoles mais aussi renforcée par l'augmentation des heures de cours. N'oublions pas aussi qu'en la perdant on perd la comprehension ne fusse qu'élémentaire du saint Coran. Merci "Ssi" Tahar.

Excuse moi Mr Benjeloun, vous même vous ne vous exprimez, pas en Arabe!!!!

Merci Mr BENJELLOUN; vous avez très bien cerné le faux problème crée de toutes pièces par nos pseudo-dirigeants autour de la darija à l’école; le débat n’a pas lieu d’être car ce qu’Il nous faut c’est une refonte du système éducatif agonisant et producteur de bataillons de chômeurs et d’incultes.

I'arabe est une langue très simple seulement il faut bien l'enseigner et bien utiliser dans notre vie quotidienne et professionnelle

Au fait, il y a trop d'excitation pour rien. Il n'a nullement été question d'enseigner la darija. Tout simplement l'usage de quelques noms propres pour désigner des mets marocains tel "baghrir" comme pour "pizza" ça n'a pas un autre nom. En effet, comme dit notre illustre écrivain, Tahar Benjelloun, il faut simplifier la langue au maximum. Car il n'est pas logique qu'à l'issue du primaire, du collège et même du Lycée un ne sache pas s'exprimer en arabe. Il faut qu'il soit docteur en langue arabe pour qu'il arrive à cet exploit.

La langue arabe est unique et pérenne , actuellement je lie le livre "كليلة ودمنة" et je le comprends parfaitement au Maroc, celà peut se faire dans n'importe quel pays Arabe, alors que les darigas sont là pour communiquer et peuvent faire l'objet d'évolution ou disparition. Néanmoins chacun des deux phénomènes s'approprie un champ d'action particulier, ce qui crée une coexistence non conflictuelle. Ouvrons donc pour une autonomie de chacune d'elles : Arabe classique pour l'éducation et les Darigas pour communication.

Entièrement d’accord. Bravo Monsieur Ben Jelloun

A ce compte là, on supprimerait les cours de français à l'école primaire en France, les cours d'espagnol en Espagne, etc... On apprend à l'école à maîtriser sa langue maternelle, à ne pas en faire, justement, un sabir (quel étrange mépris derrière ce mot). Maitriser sa langue maternelle, ses codes et ses structures est la porte ouverte pour en maîtriser d'autres, y compris cet arabe classique que si peu d'arabes parlent réellement. Sans une fondation solide, sans la structure acquise jeune et donc sur la langue maternelle, l'apprentissage de toutes les autres langues se fera sur des fondations instables et ne permettra pas d'atteindre une réelle maitrise du langage.

Ne pas l'enseigner pour ne pas en détruire la beauté je suis d'accord! Mais ce n'est pas aux linguistes de rendre les langues plus faciles, si cela ne s'est fait sans aide c'est peut-être que ce n'est pas le cas de l'arabe classique de devenir langue 'facile' et mieux maîtrisée. Il serait pourtant important que les gens puissent s'exprimer sur un panoplie de sujets en leur langue maternelle, et cela - au Maroc - c'est l'amazigh ou la darija. En outre, vouloir imposer au si-dit "monde arabe" une langue commune alors que ce dit monde ne trouve rien d'autre qui le tient ensemble...cela me semble utopique et triste et il y aurait à réfléchir d'avantage...

Vive la darija, à bas la langue arabe. Aucun pays sois disant arabe ou musulman ne parle le vrai arabe, langue morte comme le latin ou le grec ancien. En plus le Maroc, notre pays est à minorité arabe

La Darija après tous n'est rien d'autre qu'une pratique populaire et simplifiée de l'arabe classique Simplifier l'arabe classique c'est également améliorer et réguler la Darija. Je trouve cette dualité entre les pour et les contre inutile et stupide

Je dirais, en allant dans votre sens, que si on améliore la "darija" et on simplifie l'arabe classique, on se retrouvera un jour avec une seule langue parlée et étudiée par tout le monde.

Si les islandais par exemple pensaient comme vous, ils commettraient une erreur fatale,puisque les apprentissages scolaires fondamentaux se font dans la langue maternelle : partout dans le monde civilisé,qui n’a pas besoin d’un référent : a chaque pays Sa langue !!! Il n’y a pas de langue occidentale !!! Pourquoi nous rattacher forcément à la langue du monde Arabe ? Tenant compte non seulement du caractère fictif de ce monde ,comme vous l’ecriVézina. Tenant compte de l’echec cuisant essuyé par l’arabisation de nos contrées maghrébines !!! Les catalans,bretons,corses,et basques,éduquent leurs momes dans leurs langues maternelles,puis débutent le français en cours préparatoire !! Ils ne commencent jamais a exposer leurs enfants au Latin !! (Équivalent pour nous de l’arabe) Que dire alors des turcs, malais,indonésiens, chinois, et autres peuples asiatiques ou africaines....?? Car justement,là où l’arabe fut introduit,forcé,l’absence de développement personnel,puis social,économique,politique a fini par avoir raison des pauvres populations qui, forcées,y ont crut. Enfin et surtout,vous associez l’arabe à l’Islam. Or moins de 10% des musulmans dans le monde sont arabes !!!! De quoi se perdre: Feu le Roi Hassan II avait mis en place une commission de linguistes,intellectuels,sociologues, éducateurs et pédagogues afin d’etudier la Darija comme langue alternative a l’Arabe classique, comme support d’apprentissages , toutes sciences modernes confondues : Après 3annees d’etudes approfondies, l’Equipe composée essentiellement de musulmans asiatiques,africains,occidentaux,puis parallèlement de germaniques,anglo-saxons, fournit dans 3 rapports distincts,les différentes sous-commissions n’ayant eu aucun contact : La Darija est un modèle de dialecte marocain,hybride de plusieurs autres moyens de communication entre les citoyens du même pays. Étant évolutive,elle possède actuellement toutes les caractéristiques d’une langue régionale (le Royaume du Maroc étant une région de l’Afrique) . Langue aux caractéristiques largement compétente pour instruire,cultiver et communiquer l’ensemble des données actuelles de la Science. Partant de ces conclusions,je m’en suis inspiré concernant l’education de mes enfants : Maternelle en Darija . Primaire : 2 langues étrangères français et arabe dans une école française. Résultat après 30 ans : Tous les 2 excellents en arabe classique,car intégrée comme langue étrangère,non imposée. Au total : comme les coréens,japonais,indiens... Laissons faire notre langue nationale pratiquée par tous les marocains en faveur du développement intellectuel puis patriotique de nos enfants. Qu’ils soient fiers de leur langue,de leur estime de soi,puis, forcément de leur patrie. Oublions un instant la notion d’Oumma . Elle est fictive, comme vous le dites, mais du bout de la langue !??!!!!

Bravo au maitre Tahar Ben Jelloun : une leçon magistrale de logique dans la mission et les dimensions du langage et de la communication. Sera-t-il écouté par ces fainéants qui inventent l'inventé , et croient avoir trouvé quelque chose.

Très bon article ! Nous sommes déjà dans la merde de tous les côtés et en plus de ça, ils introduisent des idioties pour nos enfants

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