Monsieur le Président,
Je ne vous connais pas. J’ai vu des photos de vous. Vous m’apparaissez être un bon père de famille. Je vous respecte et je pense que vous êtes un honnête homme. Je n’évoquerai pas les conditions de votre élection. Cela ne nous regarde pas et c'est du domaine de la politique intérieure de votre pays. Donc pas de commentaires.
Vous êtes l’actuel président d’un grand pays avec un grand peuple. Il se trouve que nous sommes votre voisin. Nos peuples se connaissent et s’apprécient. Les Marocains n’ont pas été rancuniers quand un de vos prédécesseurs a expulsé, la nuit du 13 décembre 1975, quelques 45.000 familles de la diaspora marocaine vivant et travaillant en Algérie. Le Colonel Boumédiène a eu une saute d’humeur; il n’a pas supporté que le Maroc récupère son Sahara, occupé auparavant par l’Espagne. Des maris et femmes ont été violemment séparés. Nous n’étions pas habitués à ce genre de violence, surtout entre «pays frères».
Vingt ans plus tard, un attentat a eu lieu dans un hôtel à Marrakech. Le ministre marocain de l’intérieur de l’époque, ayant fait une analyse bâclée et probablement fausse, décida la fermeture des frontières entre nos deux pays. Quelle bêtise! Quelle erreur! Elle est marocaine et en tant que Marocain je n’en suis pas fier. La preuve, les deux Etats ont le plus grand mal à tourner cette mauvaise page. Le Maroc demande la réouverture des frontières, et votre gouvernement refuse systématiquement toute main tendue. Notre ami Kamel Daoud a fait remarquer que, de ce fait, toute une génération des deux pays ne se connaît pas.
Vous venez d’arriver au pouvoir. Normalement, le cœur doit être blanc et les mains ouvertes. Un conflit artificiel empoisonne les relations entre les deux pays. Les deux diplomaties s’affrontent sur la scène internationale, oubliant les liens historiques de fraternité traditionnelle et d’entraide concrète.
Vous parlez du «Lobby franco-marocain»! Vous n’êtes pas sans savoir que l’Algérie des généraux, a dépensé des sommes fabuleuses pour entretenir un lobby multinational qui agit, non sans succès, un peu partout où la question du Sahara marocain est posée.
Le Maroc n’a pas la fortune de vos généraux. Il compte sur ses diplomates, sur ses amis naturels et sur la solidité de son dossier pour défendre le principe de son intégrité territoriale. Pourtant, en tant que responsable politique, vous le savez, il est mobilisé, roi et peuple unis.
Jamais le Maroc ne cèdera à propos de son intégrité territoriale, exactement comme vous feriez, si un jour, une puissance quelconque conteste le tracé de vos frontières.
Le Maroc a accepté de se voir privé de sa ville Tindouf. D’après l’historien Olivier Vergniot, «sous les ordres du général Giraud, le colonel Trinquet occupa le 31 mars 1934 au nom de la France et de l’Algérie, Tindouf». Ainsi cette ville marocaine a été annexée à l’Algérie, qui était à l’époque «territoire français».*
A la Conférence de Tanger, le 2 mai 1958, des trois partis maghrébins, le Néo-Destour, le FLN et le Parti de l’Istiqlal, la question de Tindouf fut posée. Nos amis algériens répondirent (Farhat Abbas): après notre indépendance, il est évident que Tindouf reviendra au Maroc. Tout cela est consigné dans des archives et des livres d’histoire.
Au nom du bon voisinage, au nom de la fraternité, qui est un sentiment réel entre les deux peuples, le Maroc a cédé sur Tindouf. Vous voulez qu’il cède aujourd’hui sur ses provinces du sud et les offre à une bande de mercenaires pour en faire un mini-Etat que vous manipuleriez à votre guise?
Monsieur le Président,
Je souhaite que votre nom soit retenu par l’Histoire, parce que vous aurez été sincère, audacieux et courageux, parce que vous vous seriez opposé aux militaires qui tiennent à ce conflit parce qu’il leur donne l’impression d’exister.
Vous êtes un homme sage. Vous ne donnez pas l’air d’être un de ces généraux violents et arrogants dénoncés par les manifestants depuis plus d’un an.
Vous seriez un homme paisible qui aurait foi dans le dialogue, la discussion et le respect de la volonté populaire. Tout le monde sait que le peuple algérien n’a que faire de ce conflit, comme tout le monde sait combien cette question est sensible et non négociable du côté des Marocains.
Soyez, Monsieur le Président, celui par qui la paix arrive au Maghreb. Vous aurez la reconnaissance de nombreuses générations de cette région. Et les lobbys marocains et algériens s’allieraient et feraient tout pour vous proposer au Nobel de la Paix.
* «Tindouf, un point équivoque ; 1912-1934» Revue des mondes musulmans et de la Méditerranée ; 1986.