Au Maroc, des détenteurs de grosses fortunes sont à l’abri d’être un jour visités par une justice à la japonaise. Une justice impitoyable, incorruptible, sèche et cruelle.
Nous avons tous été stupéfaits par la chute fracassante de Carlos Ghosn, l’ancien PDG de Renault-Nissan. Riche et célèbre, puissant et dur, cet homme se trouve aujourd’hui réduit à une ombre dans une des prisons les plus sévères du monde. Et tout son argent, sa notoriété, son pouvoir ne peuvent rien pour lui.
La justice japonaise ne badine pas avec la fraude et traite les personnes soupçonnées de quelques délits avec une sévérité qui a choqué le monde. Carlos Ghosn est accusé d’avoir détourné des fonds du constructeur qu’il avait sauvé de la faillite. Son séjour dans la prison japonaise est particulièrement dur, ne tenant absolument pas compte du passé de cet homme qui n’a pas su s’arrêter à temps dans son ascension sociale et financière.
Le cas de Carlos Ghosn nous intéresse surtout du point de vue moral et psychologique. Depuis sa chute, nombre de journaux ont raconté son histoire, de son enfance au Brésil où il est né, jusqu’à ce 19 novembre 2018, où, descendant de son jet à l’aéroport de Tokyo, la police l’attendait, le menotta et le remit à la justice.
Moralement, cet homme qui était devenu hyper-puissant, avait apparemment perdu le contact avec la réalité. Il ne vivait pas dans le réel quotidien, il vivait dans un monde virtuel, passant plus de la moitié de l’année dans son jet, donnant des ordres ici ou là, et avait fini par se considérer comme un être d’exception, ce qui l’autorisait à dépasser les limites de ce qui est faisable, de ce que la normalité banale permet. Il se retrouva évidemment dans une telle solitude, qu’il avait perdu tous les repères. «C’est un homme qui flottait au-dessus des nuages. Personne n’osait le contredire», a déclaré un salarié de Nissan. Un conseiller français dit que «les gens avaient peur de lui, aussi bien les salariés que les dirigeants». Cette peur lui conférait un statut de quelqu’un au-dessus de tous.
Le fait d’être hors sol favorise des conduites où la morale, le souci des autres, le regard de ceux en face n’existent plus. On appellera dorénavant «le syndrome de Ghosn» l’état d’inconscience dans lequel certains de nos milliardaires n’arrêtent pas de faire grossir leur fortune dans un pays qu’ils exploitent sans ménagement. On aimerait bien savoir comment tant d’argent a été accumulé. Mais on ne le saura jamais.
Enfant hyper doué, né dans une famille entreprenante, il a illustré parfaitement l’ambition du Libanais de base, celle, non seulement de faire des affaires, mais aussi celle d’exceller dans tout, y compris dans les affaires les plus complexes. Ce qui a fait dire à un observateur : «être libanais, c’est un métier»!
La psychologie de ce patron qui a fini par tomber comme un vulgaire voleur, est là mise à rude épreuve. Il a perdu plus de dix kilos en prison. Il est vrai qu’on lui donnait peu à manger, mais le choc a dû être tel, que son corps a tout de suite fondu. Il y a de quoi. Voilà un homme qui se considérait plus important que les chefs d’Etat, qui réussissait tout ce qu’il touchait, qui devait se considérer l’égal d’un dieu laïc, réduit à un prisonnier quelconque.
L’économiste Jesper Koll a déclaré: «s’il y a bien une chose que le Japon refuse et ne tolère jamais, c’est l’avidité personnelle».
La rapacité. L’avidité. Toujours plus. Ne jamais considérer qu’on a assez. Là est le principal défaut de Carlos Ghosn. Son itinéraire l’a conduit à cet état consistant à ne jamais être rassasié.
On lui reproche d’avoir fraudé le fisc japonais. La justice en cours dira ce qu’il en est. Mais si c’est vrai, on se pose une question banale: tout l’argent qu’il a amassé, des salaires délirants, tout cela ne lui a pas suffi. Il a fallu gagner encore plus. Je ne sais pas si cette accusation est vraie, mais je vois mal la justice japonaise faire n’importe quoi et mettre en prison dans des conditions humiliantes un homme si puissant si elle n’avait entre les mains des preuves de ces accusations.
Déjà en 2015, Emmanuel Macron, alors ministre de l’Economie, s’était insurgé contre le salaire «excessif» –8 millions d’euros– que lui versait Renault. Il faut y ajouter 6,5 millions de dollars de Nissan et 2 millions de Mitsubishi. Ce qui a fait dire au directeur d’une société de conseil aux actionnaires : «nous pensons que quand on gagne plus de 240 fois le salaire minimum, c’est qu’on a perdu les pédales».
En France on n’aime pas les gens qui réussissent et gagnent beaucoup d’argent. Son arrestation n’a ému personne. On dirait qu’elle était espérée et attendue par des Gilets jaunes. Mais au-delà de cet aspect, ce qui reste extraordinaire, c’est la réussite géniale d’un grand technocrate ambitieux et sa fin digne d’un mauvais roman policier. La prison sévère où il se trouve actuellement, presque nu, sans musique, sans radio, sans journaux, sans pouvoir, va lui faire comprendre que la puissance de l’argent a ses limites. La prison c’est comme la tombe. On n’emporte rien avec soi. Et on le sait. Alors que dans la mort, on n’est plus là pour le constater.