Le syndrome de Ghosn

Famille Ben Jelloun

ChroniqueOn appellera dorénavant «le syndrome de Ghosn» l’état d’inconscience dans lequel certains de nos milliardaires n’arrêtent pas de faire grossir leur fortune dans un pays qu’ils exploitent sans ménagement. On aimerait bien savoir comment tant d’argent a été accumulé.

Le 28/01/2019 à 10h59

Au Maroc, des détenteurs de grosses fortunes sont à l’abri d’être un jour visités par une justice à la japonaise. Une justice impitoyable, incorruptible, sèche et cruelle.

Nous avons tous été stupéfaits par la chute fracassante de Carlos Ghosn, l’ancien PDG de Renault-Nissan. Riche et célèbre, puissant et dur, cet homme se trouve aujourd’hui réduit à une ombre dans une des prisons les plus sévères du monde. Et tout son argent, sa notoriété, son pouvoir ne peuvent rien pour lui.

La justice japonaise ne badine pas avec la fraude et traite les personnes soupçonnées de quelques délits avec une sévérité qui a choqué le monde. Carlos Ghosn est accusé d’avoir détourné des fonds du constructeur qu’il avait sauvé de la faillite. Son séjour dans la prison japonaise est particulièrement dur, ne tenant absolument pas compte du passé de cet homme qui n’a pas su s’arrêter à temps dans son ascension sociale et financière.

Le cas de Carlos Ghosn nous intéresse surtout du point de vue moral et psychologique. Depuis sa chute, nombre de journaux ont raconté son histoire, de son enfance au Brésil où il est né, jusqu’à ce 19 novembre 2018, où, descendant de son jet à l’aéroport de Tokyo, la police l’attendait, le menotta et le remit à la justice.

Moralement, cet homme qui était devenu hyper-puissant, avait apparemment perdu le contact avec la réalité. Il ne vivait pas dans le réel quotidien, il vivait dans un monde virtuel, passant plus de la moitié de l’année dans son jet, donnant des ordres ici ou là, et avait fini par se considérer comme un être d’exception, ce qui l’autorisait à dépasser les limites de ce qui est faisable, de ce que la normalité banale permet. Il se retrouva évidemment dans une telle solitude, qu’il avait perdu tous les repères. «C’est un homme qui flottait au-dessus des nuages. Personne n’osait le contredire», a déclaré un salarié de Nissan. Un conseiller français dit que «les gens avaient peur de lui, aussi bien les salariés que les dirigeants». Cette peur lui conférait un statut de quelqu’un au-dessus de tous.

Le fait d’être hors sol favorise des conduites où la morale, le souci des autres, le regard de ceux en face n’existent plus. On appellera dorénavant «le syndrome de Ghosn» l’état d’inconscience dans lequel certains de nos milliardaires n’arrêtent pas de faire grossir leur fortune dans un pays qu’ils exploitent sans ménagement. On aimerait bien savoir comment tant d’argent a été accumulé. Mais on ne le saura jamais.

Enfant hyper doué, né dans une famille entreprenante, il a illustré parfaitement l’ambition du Libanais de base, celle, non seulement de faire des affaires, mais aussi celle d’exceller dans tout, y compris dans les affaires les plus complexes. Ce qui a fait dire à un observateur : «être libanais, c’est un métier»!

La psychologie de ce patron qui a fini par tomber comme un vulgaire voleur, est là mise à rude épreuve. Il a perdu plus de dix kilos en prison. Il est vrai qu’on lui donnait peu à manger, mais le choc a dû être tel, que son corps a tout de suite fondu. Il y a de quoi. Voilà un homme qui se considérait plus important que les chefs d’Etat, qui réussissait tout ce qu’il touchait, qui devait se considérer l’égal d’un dieu laïc, réduit à un prisonnier quelconque.

L’économiste Jesper Koll a déclaré: «s’il y a bien une chose que le Japon refuse et ne tolère jamais, c’est l’avidité personnelle».

La rapacité. L’avidité. Toujours plus. Ne jamais considérer qu’on a assez. Là est le principal défaut de Carlos Ghosn. Son itinéraire l’a conduit à cet état consistant à ne jamais être rassasié.

On lui reproche d’avoir fraudé le fisc japonais. La justice en cours dira ce qu’il en est. Mais si c’est vrai, on se pose une question banale: tout l’argent qu’il a amassé, des salaires délirants, tout cela ne lui a pas suffi. Il a fallu gagner encore plus. Je ne sais pas si cette accusation est vraie, mais je vois mal la justice japonaise faire n’importe quoi et mettre en prison dans des conditions humiliantes un homme si puissant si elle n’avait entre les mains des preuves de ces accusations.

Déjà en 2015, Emmanuel Macron, alors ministre de l’Economie, s’était insurgé contre le salaire «excessif» –8 millions d’euros– que lui versait Renault. Il faut y ajouter 6,5 millions de dollars de Nissan et 2 millions de Mitsubishi. Ce qui a fait dire au directeur d’une société de conseil aux actionnaires : «nous pensons que quand on gagne plus de 240 fois le salaire minimum, c’est qu’on a perdu les pédales».

En France on n’aime pas les gens qui réussissent et gagnent beaucoup d’argent. Son arrestation n’a ému personne. On dirait qu’elle était espérée et attendue par des Gilets jaunes. Mais au-delà de cet aspect, ce qui reste extraordinaire, c’est la réussite géniale d’un grand technocrate ambitieux et sa fin digne d’un mauvais roman policier. La prison sévère où il se trouve actuellement, presque nu, sans musique, sans radio, sans journaux, sans pouvoir, va lui faire comprendre que la puissance de l’argent a ses limites. La prison c’est comme la tombe. On n’emporte rien avec soi. Et on le sait. Alors que dans la mort, on n’est plus là pour le constater.

Par Tahar Ben Jelloun
Le 28/01/2019 à 10h59

Bienvenue dans l’espace commentaire

Nous souhaitons un espace de débat, d’échange et de dialogue. Afin d'améliorer la qualité des échanges sous nos articles, ainsi que votre expérience de contribution, nous vous invitons à consulter nos règles d’utilisation.

Lire notre charte

VOS RÉACTIONS

Avant de vous lire. Je voyais les choses autrement, merci.

Intéressant

Les personnes qui regardent les chaines françaises ont probablement regardé le documentaire (TV 5 ou france 2) , je ne vois pas l'interet de nous faire un résumé de ce qui a été reporté . et de toute façon ce monsieur n 'a pas été encore jugé et personnellement je pense que pour les marocains c'est le cadet de leurs soucis en ce moment

Qu’est-ce que c’est perturbant de lire des paroles si peu généreuses et si dures accoagnées de jugements à l’emporte-pièce!! Un homme qui n’est même pas encore jugé! Je suis toujours étonnée par la jouissance qu’éprouvent les humains à accabler une personne livrée à la vindicte populaire ! Je suis persuadée que les mêmes individus qui vilipendent aujourd’hui Ghosn ou toute autre nanti ou personne célèbre hier étaient les premiers à rechercher leur présence ou le moyen de les côtoyer et ce à n’importe quel prix! Cela me touche quand je lis des méchancetés pareilles, presque nu ! A t on besoin de ce genre de détail.

Il ne faut jamais céder à la tentation de condamner avant que la justice ne le face. Ne jamais perdre de vue non plus que tout prévenu est innocent jusqu'à preuve du contraire. un pays de droit ne détient jamais une personne pendant près de trois mois sans jugement sauf en cas de terrorisme avéré. Les moralisateurs de tout bord devraient s'abstenir de jacter et commencer par se se juger eux même. gagner beaucoup d'argent ou avoir beaucoup d'appétit pour l'argent n'est tout de même pas un crime ou un délit. Monsieur Benjelloun j'ai connu de vous beaucoup mieux que cela.

"La prison c’est comme la tombe. On n’emporte rien avec soi. Et on le sait. Alors que dans la mort, on n’est plus là pour le constater" belle citation.

Ce monsieurcomme beaucoup des nôtres ne font pas la différence entre le verbe avoir et le verbe être. La puissance de l'argent,comme l'à si bien dit notre écrivain,les a déconnectés de la réalité, mais le réveil est souvent dur, voire dramatique,notamment dans un État de droit tel que le Japon.

Et ils y en a beaucoup par ce monde que rien arrêtent, avide d’argent et de pouvoir

L''Histoire a malheureusement la mémoire courte, Nissan n'échappe pas à ce syndrome. Une fois derrière les bareaux on a vite fait oublié que c'est grâce à Ghosn que Nissan continue d'exister. De quoi se poser la question n'est on pas entrain de juger un homme pour son genie plutôt que pour sa supposée fraude ?

Il y ' a la justice alternative ...

Monsieur Tahar Benjelloun, je vous lis souvent, mais pour cette analyse je ne peux m'en empêcher pour vous dire merci,j'espère que certains tireront la leçon du "Syndrome Ghosn", c'est bien dit. Farouk

0/800