Mercredi 23 novembre, 11h précises.
Comme tous les Marocains j’ai regardé le match Maroc-Croatie. Deux heures de tension et de joie.
Auparavant, j’étais dans les rues de Tanger à la recherche d’un café où regarder ce premier match des Lions.
J’ai vu des centaines de jeunes gens, garçons et filles, courir pour ne pas rater le début de la compétition. J’ai vu des hommes et des femmes d’un certain âge installés dans des cafés, impatients de voir ce qu’il allait se passer.
Il y avait autant d’hommes que de femmes dont certaines, voilées, d’autres cheveux au vent.
La joie, la ferveur, l’impatience se lisaient sur leur visage. Une même pensée, un même désir, un même rêve. Voir le Maroc l’emporter ou du moins ne pas perdre.
Ce paysage humain, divers et semblable, m’a ému. J’étais au milieu d’une foule solidaire et heureuse. En plus il pleuvait sur la ville et l’espoir de sauver la saison était possible.
Cela n’arrive pas tous les jours. Mais ce mercredi matin, les rues étaient encombrées dès 9h30 et vides à 10h45.
Le Maroc joue contre une grande équipe. Le Maroc, est soutenu par des milliers de citoyens dans le stade où le drapeau rouge à l’étoile verte couvrait les visages. Ici aussi, il y avait des femmes et des drapeaux. Formidable, ce spectacle, cette présence humaine autour d’un jeu, un ballon rond qui nous rend fous.
On pourrait dire la même chose de tous les peuples dont l’équipe joue. Cette adhésion est de l’ordre de la magie qu’aucun autre sport n’est capable de réaliser. Le football est de tous les sports celui qui fédère tout le monde. D’où vient cette passion collective?
Les jeux ont toujours existé, mais le football a de tous temps eu la palme. C’est le sport populaire par excellence comme le golf est le sport des nantis. Mais qu’est-ce qui nous attire et nous passionne? Un ballon qui passe d’un pied à un autre; un ballon qui roule sur du gazon bien taillé; un ballon qui vole au-dessus des têtes et revient entre les pieds des joueurs et de leurs techniques.
Car le football n’est pas qu’un jeu, c’est un spectacle, celui d’un ballet sans musique, un ballet d’intelligence et de perspicacité extrêmement rapide. Après tout, il y a des règles et des pratiques interdites. Pas facile de mettre un ballon dans un filet gardé jalousement par un homme dont c’est le métier. Gardien de but, est le pire des métiers. Génial quand on gagne, stupide quand on perd.
Le Prix Nobel de littérature, l’autrichien Peter Handke avait écrit un petit livre sur «l’angoisse du gardien de but au moment du penalty». Cette angoisse, visible sur le visage, est profonde. Empêcher que le ballon ne passe, est un devoir, une stratégie, une immense responsabilité.
Tout est là. Ce sont en général des hommes au caractère particulier. Pas facile de les former et d’en faire de bons gardiens.
Moi qui ne m’intéressais pas au football, me voici en train de disséquer la psychologie des joueurs, des entraîneurs, des arbitres et du public.
Quand on gagne, il y a une satisfaction de l’ordre d’une victoire militaire sur un adversaire. J.L Borgès, le grand écrivain argentin, s’étonnait de lire le lendemain d’un match décisif entre son pays et une équipe d’un autre pays ceci: «l’Argentine a écrasé le Brésil»; «elle l’a massacré par deux buts à zéro!!» L’écrivain s’imaginait que la guerre avait commencé entre les deux pays. Pourtant, il n’y eut pas de sang versé, juste quelques larmes.
Le sentiment nationaliste, voire chauvin, se développe naturellement quand un pays joue contre un autre dont la politique ou le voisinage ne lui sont pas favorables. Les symboles s’accumulent et toute victoire est vécue par tout un peuple à plusieurs niveaux. Pour moi, le niveau que je préfère est celui du moral de toute une nation qui se sent valorisée par la victoire de son équipe de football, quelques hommes d’exception, un entraîneur de qualité, et une foi dans la passion de ce jeu simple: marquer des buts.
Le match d’hier dimanche contre la Belgique restera dans les annales. Une équipe soudée, décidée à vaincre. Elle a réussi. L’émotion est intense partout dans notre pays. Deux buts marqués avec force et élégance. Sans violence, juste la volonté de donner au Maroc la fierté et le bon moral en ces jours où la pluie tarde à venir dans le sud.