Chères études françaises!

DR

ChroniqueLa France vient d’augmenter les frais d’inscription aux universités pour les étudiants étrangers. Au lieu d’investir dans la culture et doter ces instituts de budgets conséquents, la France fait de petites économies ridicules qui finissent par faire reculer l’apprentissage de la langue de Molière.

Le 26/11/2018 à 11h01

La France vient d’augmenter les frais d’inscription aux universités pour les étudiants étrangers. Plus de trente mille Marocains sont concernés. La sélection se fera par l’argent. La scolarité dans ses lycées au Maroc coûte particulièrement cher. Malgré cela, des parents font l’impossible pour inscrire leurs enfants dans les écoles de la mission. Parfois ils consentent à des sacrifices importants. Cette fois-ci cette augmentation est non seulement inutile car elle rapporterait peu à l’Etat, mais est en contradiction avec les discours officiels que tous les chefs d’Etat, depuis le Général De Gaulle, tiennent chaque fois qu’il est question de francophonie. Rappelons qu’il y a plus d’étrangers dont le français est la langue principale que de Français de souche. Le français est vivant grâce à des millions d’Africains, de Maghrébins, de Québécois, de Belges, de Suisses, sans parler des territoires d’outre-mer (Martinique, Guadeloupe, la Réunion, etc.).

Je me souviens à l’époque où je faisais partie du Haut conseil de la francophonie créé par François Mitterrand en 1986 afin justement de défendre la langue française à travers le monde, avoir tiré la sonnette d’alarme concernant le projet de fermer certains lycées au Maroc et au Liban. Ça coutait cher à la France! Mon intervention, assez véhémente, je l’avoue, n’avait pas plu au président mais il en avait tenu compte et aucun établissement français n’a été fermé. Aujourd’hui le français a partiellement cédé la place à l’anglais. Que ce soit dans les institutions internationales ou simplement sur des vols à partir de la France, l’anglais est la langue utilisée partout. Les Anglo-saxons n’ont pas eu besoin de créer une instance appelée «anglophonie» !

C’est à la politique mesquine et sans vision de plusieurs ministres des Affaires étrangères que nous devons cet état de choses. Les instituts français dans le monde dépendent de ce ministère qui n’a pas cessé de rogner sur les budgets de fonctionnement de ces lieux qui ont tant fait pour apprendre le français à des étrangers. Il y a bien sûr le travail remarquable des Alliances françaises à travers le monde. Ce sont des associations d’ordre privé qui pratiquent la francophilie. Mais l’an dernier, Jérôme Clément, le directeur de l’Alliance française mondiale dont le siège est à Paris, a dû démissionner pour protester contre le manque de moyens et d’intérêt de la part de l’Etat. Il occupait ce poste de façon bénévole.

Au lieu d’investir dans la culture et doter ces instituts de budgets conséquents, la France fait des petites économies ridicules qui finissent par faire reculer l’apprentissage de la langue de Molière par des jeunes gens en Afrique, en Asie ou dans le monde arabe. Que ce soit sous Sarkozy, sous Hollande ou Macron, la préférence est donnée au budget de l’armée plutôt qu’à celui de la culture hors de France. Mauvais calcul. Conséquences néfastes pour la culture française.

Certes la France est aujourd’hui présente dans le monde par son industrie du luxe. Chanel, Dior, Saint-Laurent, LVMH, etc. Mais cette présence ne remplacera jamais la grandeur d’un Aimé Césaire (Martinique), d’un Georges Chéhadé (Liban), d’un Kateb Yacine (Algérie) ou d’un Mohamed Khaïr Eddine (Maroc). Ce sont des écrivains et poètes d’une valeur universelle. Ils ont apporté à la langue française une richesse inouïe, lui ont ouvert des horizons intimes extraordinaires. Ces poètes et bien d’autres ont hissé la langue française à des sommets. Si aujourd’hui on fait tout pour décourager des jeunes à faire de la culture française leur univers principal, il ne faudra pas s’étonner si dans moins d’une décennie des Marocains ne maîtriseront plus cette langue et parleront anglais en plus, bien sûr, de l’arabe et de l’espagnol. 

Par Tahar Ben Jelloun
Le 26/11/2018 à 11h01