Après avoir longtemps résisté, j’ai fini par céder aux chants des sirènes –confinement oblige– et j’ai pris un abonnement à Netflix (publicité gratuite). Même quand on préfère la lecture, il arrive un moment où un divertissement plus passif, bibi alangui sur le sofa, une orangeade à la main, présente quelque charme…
Vous le savez déjà, bien sûr, mais je viens de le découvrir: Netflix possède un service pour le moins étonnant, la recommandation ciblée. Se basant sur ce que vous venez de regarder, il vous suggère d’autres films ou séries qui sont censés correspondre à votre personnalité.
Ce qui m’étonne, c’est que justement ces choix ne me correspondent absolument pas.
Un exemple? Ayant regardé la série After Life de Ricky Gervais (je vous la recommande), je me vois sommé de regarder Friends ou Modern Family ou Workin’ Moms (!), trois séries qui ne m’intéressent aucunement. Mais m’sieur Netflix n’en démord pas et il me le dit explicitement: puisque tu as regardé After Life, tu devrais apprécier ces trois séries.
Oh, on se calme. Qui es-tu pour décider pour moi ce que je devrais regarder?
Et d’abord, pourquoi me surveilles-tu? Tu t’appelles Net-flic?
Je sais bien qu’il ne s’agit que d’un algorithme et qu’il n’y a pas derrière l'écran un bonhomme dénommé Jean ou H’mida Netflix qui se permet de m'interpeller sans vergogne; mais c’est quand même vexant. Surtout quand l’algo se trompe sur toute la ligne. J’ai subi, par curiosité, une demi-heure de ses recommandations… Non, vraiment, ce n’est pas pour moi, ce n’est pas moi, ça.
Et puis le doute s’installe. Et si l'algorithme me connaissait mieux que moi? Peut-être devrais-je vraiment me farcir les soixante saisons et les dix mille épisodes de Friends?
«Connais-toi toi-même», disait Socrate. Pas la peine, nous dit la modernité: l'algorithme le fait pour toi, mieux que toi. Regarde Workin’ Moms et tais-toi!
On se croit libre, indépendant, fier conquérant de l’inconnu… Et puis quelques lignes de programme écrite par un geek de Bangalore ou de Seattle prétendent cerner le fond de notre âme. Et elles nous envoient des injonctions, ces coquines –je veux dire: ces quelques lignes de programme.
N’y a-t-il pas là un danger? Les régimes totalitaires ne fonctionnent-ils pas aussi sur ce principe? Big Brother ou le Parti ou Kim Il-Sung savent ce qui est bon pour toi.
Qu’un billet qui commence avec Netflix se termine avec Orwell et la Corée du Nord, j’en suis le premier étonné. Mais réfléchissons-y, malgré tout.
Est-il si innocent, ce phénomène d’aujourd’hui, ces algorithmes qui sont en train de s’insinuer dans nos cerveaux et de nous suggérer ce que nous devrions faire, ce que nous devrions penser?