Heureux les borgnes à El Harhoura (suite)

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ChroniqueQu’un pellagreux transforme des latrines publiques en bar…

Le 29/01/2020 à 11h10

La semaine dernière, vous en souvient-il? nous déplorions ensemble, amis lecteurs, la débauche de mauvais goût qui a nom El Harhoura, du moins le long de la plage, et les multiples attentats contre la beauté commis par des maâlem Bouchaïb qui sont à l’architecture ce qu’un bocadillo est à la haute cuisine.

Ayant à ma gauche une vision de rêve (la mer, les rochers, les nuages…) et à ma droite ces monstrueuses bâtisses qui donnent envie de gifler quelqu’un, je regrettais de n'être point borgne.

Or rentré à Rabat, ma collègue R. me fit une révélation si ahurissante que je pris une semaine de réflexion –le temps de consulter quelques avocats– avant de la révéler dans ces augustes colonnes. Sachez que…

Vous m’interrompez:

– Naïf ! Tu crois nous révéler un truc inouï mais nous savons tous que ces maisons sont bâties sans autorisation sur le littoral marin (qui est inconstructible) par des gens qui ne possèdent même pas les terrains qu’ils occupent.

Quoi? Quoi?? Vous le saviez?

Et vous ne dites rien?

Nous ne disons rien?

Nous hurlons quand on refuse un pénalty à notre équipe de foot, fût-elle un ramassis de clochards; nous renversons la table quand la harira est froide; nous érigeons des barricades parce qu’un train est en retard de dix minutes – mais que nos plus belles côtes soient occupées illégalement, que des houligans y érigent des blockhaus dignes du troisième Reich ou des masures dont un desperado mexicain ne voudrait pas, qu’un pellagreux transforme sur une plage des latrines publiques en bar (authentique! allez voir à El Harhoura), tout cela nous laisse de marbre?

Dites donc, nous avons un sérieux problème de priorité dans nos indignations.

Ma collègue R. m’a achevé ce matin en me racontant une anecdote effrayante (oui: effrayante, pour ce qu’elle dit sur ce que nous sommes devenus). Il y a quelque temps, un promoteur immobilier imagina de bâtir dans la banlieue de Rabat des immeubles dans le lit d’un oued. Averti (par qui?) qu’on allait venir inspecter les lieux, l’homme loua à la hâte quelques bulldozers et aplanit le terrain pour que nul ne se rende compte qu’un oued le traversait. Qu'à cause de lui des dizaines d'êtres humains, hommes, femmes et enfants, seront un jour emportés par la crue ne semblait pas l’émouvoir outre mesure. L’important était de tromper les inspecteurs et de lancer les travaux. Demain est un autre jour.

Après cela, que reste-t-il à dire?

Rideau.

Par Fouad Laroui
Le 29/01/2020 à 11h10