C’est dans un roman de Balzac que j’ai lu pour la première fois cette maxime de boursicoteur: «Achetez au son du canon!» Quand le canon tonne, quand les émeutes ou la guerre secouent le pays, c’est là qu’il faut acheter des actions ou plutôt les ramasser puisqu’elles sont tombées au plus bas dans un climat de panique généralisée.
Cette maxime est parfaitement illustrée par l’un des plus beaux coups de l’Histoire de la Bourse, un coup qui fut à l’origine de l’immense fortune des Rothschild. La bataille de Waterloo faisait rage sur le continent ce 18 juin 1815. En Angleterre, on attendait avec anxiété les nouvelles. Averti avant tout le monde –par un ingénieux système de relais– que Napoléon avait perdu la bataille, Nathan Rothschild se mit à vendre ses titres à la Bourse de Londres, ce qui fit croire aux autres financiers que l’Empereur était sorti victorieux du combat.
La rumeur s’ébruita. Pris de panique, tous se mirent à vendre à leur tour leurs actions, ce qui entraîna un effondrement général des cours. Nathan, qui n’attendait que ça, les racheta à vil prix, «au son du canon». Et quand la nouvelle de la vraie issue de la bataille, c'est-à-dire de la victoire des Anglais et de la défaite de Napoléon, arriva à Londres, les cours remontèrent, atteignant bientôt des sommets. Rothschild était devenu l’homme le plus riche du pays.
Je me suis souvenu de cette anecdote historique en consultant les cours boursiers après le début de ce qu’il faut bien appeler la guerre d’Ukraine. En ce début de semaine, la Bourse de Paris chute lourdement: -8% par-ci, -10% par là, et ce sont surtout les grandes banques (BNP, Société Générale, Crédit Agricole) qui sont pénalisées puisqu’on suppose qu’elles financent des projets dans le gaz et le pétrole russe et qu’elles risquent d’y perdre leurs billes.
Il y a sans doute des petits Nathan de Rothschild qui sont en train de se constituer une fortune future en rachetant à tour de bras ces actions soudain mal-aimées.
Cela dit, dans ce climat d’effondrement total, il y a deux ou trois valeurs qui tirent leur épingle du jeu: Dassault Systèmes, Safran mais surtout Thales qui caracole en tête: +10 lundi et encore + 4 mardi. Pourquoi ces trois-là? C’est parce qu’elles sont liées à l’industrie de la guerre. Thales (ex-Thomson-CSF) est spécialisé dans l’aérospatiale et la défense (ironiquement, son siège social se trouve dans le quartier parisien de La Défense…) Les investisseurs estiment que la guerre va les enrichir, ce qui se traduira à terme par des dividendes en hausse.
On pourrait donc modifier la maxime ainsi: «Achetez au son du canon… Ou achetez des canons!»
Tout cela montre un côté immoral du fonctionnement de l’économie libérale: on peut gagner de l’argent en profitant de la guerre, des destructions et des morts, de l’exode des réfugiés, de la misère des gens. C’est triste.
Et c’est illogique. On sanctionne brutalement les sociétés et les oligarques russes, on cherche à les détruire et les ruiner, comme l’a dit crûment un ministre européen… Et pendant ce temps, des spéculateurs européens s’enrichissent grâce à la guerre. Est-ce normal?
Ne serait-il pas plus moral de geler immédiatement la cotation des valeurs liées à la guerre quand celle-ci éclate?
On appellerait ça «la loi Ludmila», du nom d’une petite fille morte dans les bombardements de Kharkiv avant d’avoir pu apprendre, à l’école, comment fonctionne la merveilleuse économie libérale.