«Notre père est le Guir; notre mère, le Tafilalet», tel est l’adage réputé chez les Doui-Menia, en signe d’ancrage à ces terres, qui vont du sud-est marocain jusqu’à la vallée de la Saoura, rattachée à l’Algérie durant la colonisation française.
Formant une tribu d’origine bédouine, les Doui-Menia sont reliés tantôt aux Maâqil de la branche des Hassân, installés dans les franges du désert au XIIe siècle; tantôt aux Zoghba hilaliens, parvenus aussi, au terme de multiples pérégrinations, de leur berceau en Péninsule arabique jusqu'au Maghreb.
Là, les Doui-Menia gardent vivace le souvenir d’un ancêtre commun appelé Abd-el-Krim, surnommé «Mennâ’» (le Protecteur), tandis que leur nom signifie littéralement, en arabe, «Ceux de la protection», ajouté à leur autre surnom de «Zegdou», portant une idée de nombre et de puissance.
Une tradition orale, enracinée dans la culture locale, rapporte que leur aïeul, chef de la caravane du pèlerinage au Tafilalet, devrait son surnom au fait qu’il ait servi de guide à Hassan Dakhil (ancêtre des sultans alaouites) depuis son berceau de Yanbu au Hijaz sur la mer Rouge, jusqu’à la cité oasienne de Sijilmassa dans la province du Tafilalet, vers 1266, sous le règne mérinide.
Leurs deux tombes reposeraient sous la même coupole; tandis qu’un moussem honore toujours la mémoire des deux hommes, animé par la danse et les chants populaires, dits Houbi, spécifiques de cette tribu semi-nomade.
Au début du règne du sultan alaouite Moulay Abd-Allah ben Ismaïl, un rameau du groupe Doui-Menia, issu de la région de Figuig et de Béchar, fut installé au nord-est de Fès où il fut incorporé dans l’armée des Chraga dont le rôle auprès du premier sultan alaouite Moulay Rachid est incontestable.
Parmi ces groupes figurent les Jamaï, qui ne tardèrent pas à s’illustrer dès lors, dans la cité idrisside voisine, principalement depuis le XIXe siècle, date de leur entrée dans le Guich organisé par le sultan Moulay Abd-Rahman à la suite de la défaite marocaine à la bataille d’Isly.
Les Doui-Menia laissent ainsi leur nom en tant que tel à différents groupements, non seulement dans le Tafilalet et dans la région de Figuig mais également chez les Aârab Saïss près de Meknès et au nord-est de Fès.
La forme équivalente, Oulad Menia, est quant à elle présente avec des fractions de tribus dans le Gharb près de Had Kourt.
Les Meniî forment par ailleurs un groupement au sein des Mzab dans la plaine Chaouia dont l’une des personnalités de renom fut le théologien et jurisconsulte Larbi ben Mqeddem Meniî, chargé de missions officielles à Tanger, où il trouva accidentellement la mort en 1900.
Avec le début de la colonisation française, les Doui-Menia s’illustrèrent au combat sous la protection des zaouïas locales notamment celle des Kenadsa.
Appelée aussi Ziyaniya, celle-ci est fondée dans le Haut-Guir, chez les Doui-Menia, sur les axes caravaniers sahariens, par le cheikh Sidi Bouziane, natif de la vallée du Draa vers 1650.
Parmi ses descendants adulés, figure Sidi Mhammed ben Bouziane (mort vers 1780) dont le sanctuaire est renommé à l’extérieur d’Oujda où il était considéré comme le protecteur des voyageurs et des pèlerins.
Autre zaouïa de renom, sur la rive d’Oued Saoura: la Kerzaziya, dite aussi Moussaouia ou Ahmadiya, des noms de son fondateur au XVIe siècle, Sidi Ahmed ben Moussa Saouri, surnommé Boufelja et Moul-Kerzaz, considéré d’origine Machichi Alami, natif de Fès selon Mohammed ben Jaâfar Kettani.
Son nom est laissé par ailleurs aux Moussaoua de l’Oriental et à Douar Beni Kerzaz au nord de la plaine atlantique de la Chaouia.
Au nombre des batailles menées par les Doui-Menia contre l’occupant français, signalons celle qui s’est déroulée en 1852 à Oglat El Hadj Mohammed contre les troupes du général Colomb dont le nom sera donné à Colomb-Béchar avec l’occupation de l’oasis en 1903, en remplacement de son ancien nom de Tagda, l’imposant par la même occasion comme chef-lieu et plaçant au second plan la Zaouia, naguère prépondérante des Kenadsa. (Voir en ce sens «Espace et sacré au Sahara», de Abderrahmane Moussaoui).
En 1870, dans le cadre de l’expédition à l’oued Guir du général Wimpffen (commandant alors de la province d’Oran), les Doui-Menia, «qui forment une des fractions les plus considérables de la confédération marocaine de l'oued Guir» (lit-on dans la Revue Militaire Suisse) s’engagèrent dans le combat auprès de contingents Oulad Sidi Cheikh, Oulad Jrir, Beni Guil, ‘Amour, trouvant refuge à Aïn Chaïr, cible ensuite d’un assaut colonial, au goût d’inachevé.
Les instructions du ministre de la guerre de Napoléon III, Edmond Le Bœuf, avaient été claires: «Limitez-vos opérations autant que possible… souvenez-vous que les Zegdou sont Marocains…».
De toutes les principales batailles, leurs cavaliers participèrent au devoir du combat, notamment en 1881, auprès d’autres tribus de la région, tels les ‘Amour ou les Hamyane, sous la direction du cheikh Bouâmama (natif de Figuig, inhumé à Al Aïoun Sidi Mellouk).
Le 2 septembre 1903, «plusieurs centaines de Marocains» (selon les termes d’Emilio Condado-Madera, dans son «Histoires de l’histoire de la légion»), venus du Guir et du Tafilalet, assaillirent encore un convoi de ravitaillement français dans la cuvette d’El-Moungar donnant lieu à une bataille mémorable et précipitant l’occupation de Béchar en septembre 1903.
L’inscription gravée en ces lieux dans un monument élevé par les Français rappelle le combat pendant huit heures «contre des dissidents marocains», les 34 militaires français tués dont deux officiers.
Sans oublier le soulèvement général au Tafilalet en 1918, imposant l'évacuation des lieux (pour ne les réoccuper qu’en 1932) sous les ordres du général Lyautey, qui en attribua l’échec au lieutenant-colonel Doury.
A cette date déjà, les vicissitudes de l’histoire et surtout le cynisme machiavélique et insidieux du système colonial, avait scindé en deux le territoire des Doui-Menia, entre autres tribus.
Puis les ksour furent fermés à la communication entre frères dans la logique désastreuse d’une certaine politique post-Indépendance.
Ainsi en est-il, à titre d’exemple, d’Igli où siégeait auparavant un représentant du sultan (tel le cadi Chadli, des Oulad ben Othmane, nommé en 1892 par Moulay Hassan) ou de Abadla qui doit son appellation aux Abdellaoui, branche des Alaouiyin du Tafilalet.
Tout un symbole!