Nigeria: la fin de Boko Haram et l’essor de l’Etat islamique

L’Afrique réelle

ChroniqueL’EIAO prit rapidement le contrôle de la région anciennement contrôlée par Boko Haram. Il y installa une autorité parallèle, lutta contre le banditisme, punit les voleurs de bétail, et, à la différence de Boko Haram, y autorisa les campagnes de vaccination des enfants.

Le 24/08/2021 à 11h00

Au mois de juin 2021, Abubakar Shekau, le chef sanguinaire de Boko Haram s’est suicidé afin de ne pas tomber entre les mains de ses ennemis de l’Etat islamique. Une mort qui change en profondeur la nature du jihadisme dans la région péri-tchadique.

Le Nigeria, Etat mastodonte de 932.000 km2, peuplé par plus de 210 millions d’habitants, connaît depuis deux décennies une guérilla jihadiste qui ravage tout le nord-est du pays à travers la sanglante aventure de Boko Haram. L’origine de cette organisation terroriste remonte à l’année 2002 quand, à Maiduguri, la principale ville de l’Etat de Bornou, Muhammad Yusuf, un prédicateur d’ethnie Kanouri, fonda un mouvement jihadiste. Dans un premier temps, Muhammad Yusuf concentra ses attaques contre les chrétiens. Machettes et cocktails molotov furent alors utilisés afin de terroriser ces derniers et les pousser à fuir. Puis, le mouvement s’attaqua peu à peu à tout ce qui représentait l’Etat nigérian. Au mois de juillet 2009, il lança ainsi des assauts coordonnés contre les stations de police et les administrations de quatre Etats du Nord (Bauchi, Bornou, Yobe et Kano). De violents combats se déroulèrent à Maiduguri où Muhammad Yusuf fut capturé et exécuté par l’armée alors qu’Abubakar Sekau, son principal adjoint était blessé et fait prisonnier.

Mystérieusement libéré peu de temps après, au mois de juillet 2010, Abubakar Shekau annonça dans la clandestinité qu’il succédait à Muhammad Yusuf et qu’il venait de fonder Jama’at Ahl-Sunna li al-Da’wa wa al-Jihad (Groupe sunnite pour la prédication et le jihad) dit Boko Haram. Il jura alors fidélité à Oussama ben Laden et au chef régional d’Aqmi, l’Algérien Abdelmalek Droukdel, lequel lui offrit son aide dans le combat qu’il avait engagé contre les chrétiens du nord du Nigeria. Puis, au mois de septembre 2010, il lança une attaque spectaculaire contre la prison de Bauchi où il réussit à libérer plusieurs centaines de ses partisans qui y étaient détenus.

Le nouveau contexte politique nigérian était alors devenu favorable aux islamistes. L’accession au pouvoir de Goodluck Jonathan, un chrétien sudiste, provoqua en effet l’inversion des rapports de force entre le nord et le sud. Jusque-là, les nordistes contrôlaient l’administration et l’armée, exerçant le pouvoir tout en détournant à leur profit la manne pétrolière sudiste. A partir de ce moment, Boko Haram multiplia ses actions terroristes. Le 26 août 2011, il organisa un attentat suicide au moyen d’un véhicule bourré d’explosifs contre un complexe de l’ONU, faisant de nombreuses victimes.

Au mois de janvier 2012 le rythme des attaques augmenta. Ainsi le 21 janvier à Kano, la seconde ville du Nigeria, où furent visées la police et l’administration fédérale et où 211 morts furent à déplorer. Le 22 janvier, dans l’Etat de Bauchi, des églises et des postes de police furent attaqués. Le 24 janvier, à Kano, plusieurs attaques à la grenade furent lancées contre la police. Sans parler des massacres aveugles de civils musulmans, Abubakar Shekau considérant en effet que le takfir était licite contre ceux qu’il qualifiait d’apostats car ils acceptaient le gouvernement local sans se révolter, et contre les soufi, des schismatiques selon lui. Et pour mettre en application sa stratégie, il utilisa des kamikaze, notamment des femmes et des enfants qui se faisaient exploser dans les mosquées ou sur les marchés.

Ce fut alors que la rupture se produisit avec les politiciens nordistes qui, jusque-là avaient fermé les yeux sur les méthodes terroristes de Boko Haram. Au même moment, apparurent les premières fissures au sein du mouvement. Fin janvier 2012 à Kano, des tracts furent ainsi distribués annonçant la naissance du groupe islamiste Ansaru (Jama’atu Ansaril Muslimina fi Biladis Sudan -Avant-garde pour le Protection des Musulmans en Afrique noire), qui se présenta en quelque sorte comme une «alternative humaine» à Boko Haram, annonçant qu’il ne s’en prendrait pas aux civils musulmans, et qu’il réserverait ses actions terroristes uniquement à l’administration et aux chrétiens. La situation fut alors ressemblante à ce que l’Algérie avait connu dans les années 1990 quand le GSPC rompit avec le GIA auquel il reprochait de tuer des civils musulmans.

La rupture à la tête de Boko Haram faisait également apparaître au grand jour la rivalité entre Kanouri et Haoussa. Les statistiques de l’armée indiquaient à cette date que 90 % des prisonniers faits au combat ou lors des opérations de maintien de l’ordre étaient Kanouri.

A la différence de la stratégie chaotique de Boko Haram, Ansaru militait pour le retour du califat de Sokoto, fondé en 1804 par le Peul Usman dan Fodio et qui, avant la conquête britannique de l’extrême fin du XIXe siècle, s’étendait sur le nord du Nigeria, le sud du Niger et le nord du Cameroun.

En 2015, Abubakar Shekau fit allégeance à l’EI (Etat islamique). Puis, au mois d’août 2016, après l’enlèvement des lycéennes à Chibok et plusieurs attentats-suicide commis par des enfants, il fut désavoué par l’EI qui lui retira sa reconnaissance au profit d’Habib Yusuf dit Abou Musa al-Barnawi, fils aîné de Muhammad Yusuf, fondateur du mouvement devenu Boko Haram. Dès sa nomination, ce dernier déclara qu’il ne voulait plus frapper les musulmans indistinctement mais uniquement les «croisés chrétiens».

En 2018, Boko Haram éclata en deux branches. Sa dissidence qui prit le nom d’État islamique en Afrique de l’Ouest (EIAO ou ISWAP selon son acronyme anglais) étant dirigée par Abou Musa al-Barnawi, d’ethnie Kanouri comme Abubakar Shekau. Disposant de plusieurs milliers de combattants, le mouvement s’implanta dans la partie nord du lac Tchad, dans la région des quatre frontières (Nigeria, Niger, Cameroun, Tchad).

Alors que Boko Haram, fraction historique sombrait dans le banditisme et massacrait indistinctement les civils, l’EIAO réussissait à s’attirer le soutien des populations en ciblant ses attaques et en soutenant les revendications locales. L’EIAO joua clairement la carte de la confiance et non plus celle de la terreur auprès des populations, affirmant que les civils musulmans seraient désormais en sécurité à la condition qu’ils s’acquittent de l’impôt islamique. L’EIAO prit rapidement le contrôle de la région anciennement contrôlée par Boko Haram. Il y installa une autorité parallèle, lutta contre le banditisme, punit les voleurs de bétail, et, à la différence de Boko Haram, y autorisa les campagnes de vaccination des enfants.

L’EIAO se fit également banquier en prêtant aux agriculteurs afin de leur permettre d’acheter des semences ou des outils et il aida au forage de puits.

Toujours à la différence de Boko Haram dont les attaques ne répondaient à aucune définition stratégique cohérente, l’EIOA combina la guérilla avec ses procédés de harcèlement et les assauts classiques. Dès 2019, le mouvement fut ainsi en mesure d’attaquer des garnisons importantes et d’établir des relations avec des groupes jihadistes extérieurs au Nigeria comme les Sheebab de Somalie.

Petit à petit, l’EIAO prit l’avantage et, au mois de juin 2021, il lança une vaste offensive contre ce qui restait de Boko Haram. Ce fut alors qu’Abubakar Shekau se suicida pour ne pas tomber aux mains de ses rivaux.

Au mois de juillet 2021, à l’exception de la fraction dirigée par Bakura Doro, dit Sahaba, un Buduma qui tenait la zone de la frontière Tchad-Niger et qui refusait de prêter allégeance à l’EIAO, toutes les autres composantes de Boko Haram avaient rallié Abu Musa al-Barnawi.

Désormais l’objectif de l’EIAO est le contrôle de la région du lac Tchad afin d’en faire un point de départ pour l’élargissement du jihad.

Par Bernard Lugan
Le 24/08/2021 à 11h00