Bloc massif de 30 millions de km2, le continent africain ne présente ni vastes échancrures, ni péninsules digitées, ni chapelets d'îles. A la différence de l'Asie, de l'Amérique du Nord ou encore de l'Europe, il n’est pas pénétré par la mer. Plus encore, la barre «ferme» une partie importante du littoral atlantique à la vie de relation avec le grand large.
La géopolitique des océans s’exprime différemment selon les grandes régions africaines. Historiquement, au sud du Sahara, la mer n’a en effet pas toujours et partout joué le rôle qui est aujourd’hui le sien. De plus, la situation n’était pas la même le long de l’Atlantique et de l’océan Indien. A l’ouest, le long du littoral atlantique, avant les grandes découvertes européennes du XVIe siècle, les populations tournaient le dos à l’océan alors qu’à l’est, là où la côte ne présente pas d’obstacles majeurs et où les courants et les vents favorisent la navigation, depuis l’Antiquité, la région était intégrée aux circuits commerciaux de l’océan Indien.
Il faut bien avoir à l’esprit que, jusqu’au XVe siècle, l’Atlantique sud constitua un véritable mur sur lequel butait la navigation européenne. Les relations avec l’Asie se faisaient alors par la voie caravanière terrestre, le long de la «route de la soie», et jusqu’à la mer Noire ou la Palestine. Ou bien par une voie maritime sous contrôle arabe qui partait du littoral occidental des Indes et qui aboutissait, soit dans le golfe persique, soit dans la mer Rouge, puis à Alexandrie, en Egypte.
Or, à la fin du XIVe siècle, l’expansion des Turcs Ottomans s’exerça jusque dans les Balkans avant de coiffer la mer Noire, coupant ainsi l’Europe occidentale d’une des principales routes de commerce avec l’Asie et rendant la Méditerranée orientale de moins en moins sûre. C’est alors que l’idée apparut de découvrir de nouvelles voies menant directement aux Indes. A l’extrême fin du XVe siècle, les Espagnols choisirent la route de l’ouest et c’est ainsi que l’Amérique fut découverte. Quant aux Portugais, depuis plus d’un siècle, ils exploraient méthodiquement la route du sud.
La conséquence de ce mouvement fut que le littoral de l’Afrique sud-saharienne atlantique, jusque-là marginal dans l’histoire du continent, s’ouvrit à la vie de relation avec l’Europe, faisant alors basculer vers l’océan le cœur économique et politique du continent. Ce fut, selon l’expression parlante de l’historien portugais Magalhaes Godinho, «la victoire de la caravelle portugaise sur la caravane saharienne».
Ce mouvement fut ensuite amplifié à l’époque de la Traite quand de puissants royaumes se constituèrent ou se développèrent là où les Européens accostaient pour y acheter des esclaves à leurs pourvoyeurs-partenaires africains. Partout, l’on assista alors à un glissement du centre de gravité politique et économique vers le littoral. Certains Etats se tournèrent vers l’océan afin de pouvoir commercer directement avec les Européens et, pour cela, ils s’ouvrirent des pénétrantes vers les côtes, absorbant ou éliminant nombre d’entités côtières. La géopolitique de l’Afrique de l’Ouest fut alors bouleversée en profondeur.
Le Sahel entra ainsi dans un long endormissement dont il ne sortit qu’au XIXe siècle avec les grands empires jihadistes. Puis, après 1880, ces derniers furent détruits par les Européens engagés dans la conquête coloniale qui se fit depuis le littoral. Les Français à partir du Sénégal et de l’actuelle Côte d’Ivoire, les Britanniques depuis l’actuel Ghana ou l’actuel Nigeria; les Allemands à partir de Douala.
La colonisation se fit alors à l’avantage des pôles littoraux avec lesquels les Européens avaient noué de séculaires relations et qui, dans bien des cas, avaient été leurs partenaires durant l’époque de la traite esclavagiste. Avec pour résultat de faire encore davantage basculer le cœur politique et économique de l’Afrique vers les océans. Avec les indépendances, ce phénomène de poussée vers la mer fut amplifié, notamment à partir du Sahel.
Depuis la décennie 2000, la mer joue un rôle de plus en plus important en Afrique. Du Maroc jusqu’à la Somalie, le littoral africain recèle en effet de gigantesques réserves de matières premières, notamment de pétrole et de gaz. Cette montée en puissance des espaces littoraux fait que l’enclavement de certains pays est de plus en plus un obstacle au développement. Ainsi en est-il de l’Algérie «coincée» dans cette mer fermée qu’est la Méditerranée, alors que le Maroc est, quant à lui, ouvert sur le grand large atlantique grâce à sa façade longue de plusieurs milliers de kilomètres s’étendant depuis Tanger au nord, jusqu’à la frontière de la Mauritanie au sud.
Cette réalité, qui ravive de lourdes tendances géostratégiques régionales, pèse ainsi d’un poids considérable sur toute la région du Sahel central, sur les immensités de la cuvette congolaise et également sur l’Ethiopie, laquelle souffre de ne plus disposer de son débouché maritime perdu lors de l’indépendance de l’Erythrée.