Du nouveau sur la course salétine

L’Afrique réelle

ChroniqueL’émergence d’une politique maritime marocaine est perceptible dès le XVIe siècle, sous le règne du sultan Mohamed ech-Cheikh qui créa une flotte pour lutter contre les Espagnols. Mais la menace turque sur la frontière orientale lui fait abandonner son projet pour tourner ses efforts vers l’Est.

Le 28/09/2021 à 10h59

La question de la Course salétine a fait l’objet de très nombreuses publications1, dont une thèse qui fut soutenue en 2003 à l’Université de Lyon III par Malika Abouelouafaa2. Une thèse qui renouvelle plusieurs aspects de la question et balaie nombre d’idées reçues.

Contrairement à ce qui fut longtemps soutenu, la mer a toujours joué un rôle important au Maroc. C'est ainsi qu'il a été démontré que la course salétine est antérieure d'un siècle au moins à l'arrivée des Morisques chassés d'Espagne et notamment des Hornacheros qui ne firent que prendre la suite d’un mouvement existant en l’amplifiant.

Sous le règne du sultan Moulay Abdallah el-Ghalib (1557-1574), la flotte de guerre marocaine alignait trente navires et durant le règne de son successeur Mohammed el-Moutaoukil (1574-1576), elle en comptait dix de plus.

La flotte corsaire marocaine maraudait sur les grandes voies maritimes de l’époque qui, toutes, passaient au large du Maroc, provoquant de violentes réactions européennes se traduisant par les bombardements de ports marocains ou par des blocus. A partir de 1622, l'audace des corsaires salétins ne connût plus de bornes et leurs navires chassèrent en meute jusque dans la Manche, la mer d'Irlande ou sur les bancs de Terre-Neuve.

L’émergence d’une politique maritime marocaine est perceptible dès le XVIe siècle, sous le règne du sultan Mohamed ech-Cheikh (1544-1557) qui créa une flotte pour lutter contre les Espagnols. Mais la menace turque sur la frontière orientale du Maroc fit que le Maroc et l’Espagne, jusque-là ennemis, se rapprochèrent. Le Maroc abandonna alors son projet de construction d'une flotte pour tourner tous ses efforts vers l’Est.

Une seconde tentative eut lieu sous le sultan Ahmed El-Mansour (le Victorieux) qui régna de 1578 à 1603 et qui eut à faire finalement un choix entre l’expansion territoriale vers l’Afrique noire, le Bilad-al-Sudan, et le soutien aux Morisques avec pour conséquence la guerre maritime contre l’Espagne. La première option fut alors retenue et il lança l’expédition de Tombouctou entre 1589 et 1591.

Il fallut attendre l’arrivée des Morisques chassés d’Espagne pour voir la Course salétine prendre une importance considérable. Parmi ces expulsés, les Hornacheros eurent un rôle déterminant, mais, contrairement à ce qui est trop souvent écrit, la Course salétine ne débute pas avec l’installation des Morisques hornacheros originaires d’Hornachos en Extramadure. Les Morisques Hornacheros n’avaient pourtant pas une vocation de marins quand ils vivaient encore en Espagne, dans ce qui avait été Al-Andalus. Ils le devinrent sur les rives du Bou-Regreg où ils firent de Salé un quasi-Etat dans l’Etat.

La flotte corsaire de Salé était forte de plusieurs dizaines de navires taillés pour la course, fins, rapides, faciles à manœuvrer, mais pouvant également supporter toutes les tempêtes. Le plus souvent, il s'agissait de navires de prise, mais le chantier naval situé au pied de la tour Hassan à Rabat, en construisait également, qu'il s'agisse de brigantins montés par 100 hommes et armés de 10 canons ou des chébecs avec un équipage de 200 hommes et 20 bouches à feu.

De retour de campagne, les navires débarquaient leurs prises, qu’il s’agisse de cargaisons ou de captifs qui étaient vendus aux enchères publiques. Les prisonniers de qualité étaient libérés contre rançon tandis que les simples marins ou les voyageurs anonymes attendaient parfois des années que des ordres religieux comme celui de Notre-Dame de la Merci aient réuni suffisamment de fonds pour les racheter.

Le premier objectif de la Course salétine était de capturer des navires et leurs équipages. Durant tout le XVIIe siècle, la principale victime fut la France qui réagit par des campagnes de représailles qui ne permirent pas d’y mettre un terme. La position militaire de Salé était en effet bien différente de celle d’Alger car la puissance des Barbaresques algérois était en réalité limitée. Alger était en effet une ville largement coupée de son arrière-pays, alors que Salé était adossée à un puissant Etat, le Maroc. Paradoxe, tandis que les pirates de Salé s’attaquaient aux navires français, les villes de Marseille, Narbonne et Montpellier entretenaient d’importantes relations commerciales avec le Maroc.

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1La bibliographie concernant la question est donnée dans mon livre Histoire du Maroc des origines à nos jours (Ellipses, 2011) disponible dans les bibliothèques et librairies marocaines.

2Malika Abouelouafaa: La Course salétine et ses conséquences sur les relations franco-marocaines sous les règnes de Louis XIV et de Moulay Ismail (1661-1727). Université de Lyon III, 2003.

Par Bernard Lugan
Le 28/09/2021 à 10h59