Tristesse et inquiétude pour l’affaire Bouachrine

DR

ChroniqueA ce stade de l’affaire, la présomption d’innocence ne doit pas nous faire oublier la présomption de sincérité des plaignantes. C’est la moindre des décences.

Le 10/03/2018 à 17h59

Le procès d’un homme ou d’un journaliste? Tout le problème est là.

C’est bien sûr l’homme qui est aujourd’hui en prison, pour des faits liés à sa vie privée. Mais c’est le journaliste aussi qui paie. C’est un aspect que l’on ne peut pas oublier. Ne serait-ce que parce que l’arrestation, très spectaculaire, ne s’est pas faite au domicile du concerné mais dans son lieu de travail.

L’un des meilleurs éditorialistes du pays, un des seuls aussi à avoir une vision fondamentalement critique de l’évolution politique du Maroc, au moins depuis le renvoi d’Abdelilah Benkirane, est aujourd’hui réduit au silence. Conservateur et réputé proche des islamistes, Bouachrine a glissé au fil des mois en journaliste opposant ou «dérangeant». Parce qu’il dérangeait plusieurs corps dans l’Etat et l’establishment marocain.

Dans les pays non développés, où la justice n’est pas réputée indépendante, mettre en prison un journaliste de ce type est toujours suspect, quelle que soit la nature des faits qui lui sont reprochés, et même quand ces faits n’ont a priori rien à voir avec ses opinions. Cela tourne fatalement au procès politique, où le risque de vengeance et d’acharnement est grand. Où la tentation de faire d’une pierre deux coups (en faisant taire au passage une voix dérangeante) existe aussi, et elle est grande comme une montagne.

Les démocrates sincères sont donc tristes et inquiets. Ils ont, permettez-moi la trivialité de l’expression, «le cul entre deux chaises». D’un côté, ils doivent apporter leur soutien ferme et total aux présumées victimes/plaignantes dont la vie ressemble aujourd’hui à un enfer. C’est une attitude juste et décente. De l’autre côté, ils doivent rester vigilants par rapport au recul évident des espaces de liberté qui subsistent encore dans le paysage de la presse marocaine. Ce réflexe d’inquiétude est tout à fait justifié.

Les vices de forme, concernant cette affaire, feront certainement l’objet d’une longue bataille juridique. Les bizarreries (le scénario et le timing de l’arrestation, la source des enregistrements) qui ont entouré le contexte de l’affaire feront beaucoup parler.

Tous ces détails sont importants. Il y en aura d’autres aussi, qui apparaitront lors du déroulement du procès. Mais il ne faut pas perdre de vue l’essentiel, qui doit rester très clair pour tous.

Taoufik Bouachrine est un justiciable comme un autre. Il n’est pas au-dessus des lois. Il doit répondre à des faits clairs et précis qui lui sont reprochés. Ces faits sont graves et, s’ils sont avérés, il doit payer. C’est sa responsabilité.

A ce stade de l’affaire, la présomption d’innocence ne doit pas nous faire oublier la présomption de sincérité des plaignantes. C’est la moindre des décences.

Restons décents, restons vigilants. Et attendons la suite des événements.

Par Karim Boukhari
Le 10/03/2018 à 17h59