Si je vous dis que l’année 2020 commence bien, vous allez me rire au nez. Ne nous voilons pas la face, ne feignons pas de regarder ailleurs. L’actualité de ces premiers jours est dominée par les arrestations, les procès et les condamnations, parfois très lourdes, de jeunes personnes «envoyées au frais» pour un tweet, un post sur Facebook, un morceau de rap diffusé sur internet.
Ce coup de sang, cette tour de vis, on peut l’appeler comme on veut, interpelle et inquiète. L’Etat, à travers ses institutions, et à leur tête l’appareil judiciaire, est peut-être en train d’apprendre (oui, apprendre) à gérer ce déferlement de colère empruntant des canaux nouveaux.
L’apprentissage sera difficile. Mais il est nécessaire.
Si on prend la peine d’observer calmement ce qui est en train de se passer, on peut très bien le résumer comme suit. Nous avons des jeunes gens en colère, qui expriment leur ras-le-bol avec les moyens et les supports dont ils disposent. La subtilité n’est pas le trait principal de ces nouveaux modes d’expression, qu’il va falloir cadrer et encadrer. Mais dans l’absolu, et c’est ce qu’il faut retenir avant tout, cette colère élargit le champ des possibles. Ce qui repousse de facto les limites de tolérance de l’Etat et de son redoutable appareil judiciaire.
L’expérience, et puis l’histoire (quand on prend la peine de l’étudier ou simplement de l’examiner), nous ont toujours montré que ce n’est pas l’Etat mais la société qui donnent le ton et imposent le tracé des nouvelles frontières du possible, du licite et du tolérable. C’est une question de bon sens. Parce que la société va plus vite que les lois, alors que l’Etat, qui est avant tout une matière politique, n’avance que par consensus.
C’est la société qui crée une situation nouvelle, à laquelle les institutions doivent s’adapter. En augmentant leur capacité de tolérance, de manière à absorber la colère et à maintenir au final un sentiment d’équité, et un certain équilibre.
A peine installée, la Commission qui planche pour un nouveau modèle de développement au Maroc fait donc face à cette situation embarrassante, mais qui est tout à fait inédite. Cela lui servira de test. En étant optimiste, cette actualité terrible peut pousser, de facto, la Commission à placer la barre haut. En tout cas plus haut que prévu.
Le développement n’est pas possible sans liberté. Et dans la liberté, il y a celle d’exprimer sa colère.
L’arrestation, pour un tweet, du journaliste Omar Radi, heureusement remis en liberté provisoire depuis, a fait dire à Rachid Benzine, membre éminent de la Commission, qu’il ne saurait y avoir de développement sans liberté. Pour les connaitre, je sais que d’autres membres de la Commission sont du même avis. Beaucoup de Marocains sincères sont aussi du même avis.
En intégrant la liberté d’expression et en renforçant les droits de l’individu dans son rapport au système, la Commission rendra beaucoup de services au Maroc. Parce que la voie qui mène au développement est celle qui rétablit, ou établit tout court, la confiance que peut et doit avoir l’individu dans le système qui le dirige. Cette confiance n’existe pas ou si peu. Certains diront même qu’elle n’a probablement jamais existé.