Quarante-huit heures avant la tenue du très attendu match qui opposera le Maroc à la France aux demi-finales de la Coupe du monde du Qatar, le philosophe français Bernard-Henri Lévy a pris le contrepied d’une certaine presse hexagonale prompte à diaboliser les supporteurs marocains de France et à pronostiquer une finale entre l'équipe emmenée par Didier Deschamps et celle d’Argentine.
En effet, alors que le match qui opposait le Royaume au Portugal le 10 décembre a donné lieu à des échauffourées en France et a mené à l’interpellation de 170 personnes, majoritairement des Français, on a tôt fait d’assimiler ces casseurs aux supporters marocains et de se faire l'écho de discours d’extrême-droite. A l’heure où la communauté maghrébine et binationale de France se retrouve encore une fois stigmatisée, BHL rétablit quelques vérités dans un billet qui porte ce titre: «Pindare, le foot et le Maroc».
Rappelant d’emblée qu’il n’a pas «une âme de supporteur», BHL explique que s’il ne s’intéresse pas aux évènements sportifs, cela ne l’empêche pas de voir «l’importance de la chose», laquelle se retranscrit notamment dans le parallèle qu’il établit entre les footballeurs du moment et les champions qui étaient «dans la Grèce ancienne, célébrés dans toute l’Hellade et révérés à l’égal des dieux».
Ainsi, dans les victoires en 1936 à Berlin de Jesse Owens et Cornelius Johnson, auxquels Hitler, puis Roosevelt, refusèrent de serrer la main en raison de leur couleur de peau, BHL voit «l’âme du monde», citant Hegel, le dernier des philosophes, lequel comparait le champion à une «statue antique mise en mouvement», mais aussi «l’oeuvre vivante» d’un peuple.
Lire aussi : Match Maroc-France: des médias français, caisses de résonance de voix qui stigmatisent la communauté marocaine
C’est à cette lumière teintée d’histoire et de philosophie que BHL observe les matchs qui se jouent à Doha. Dans ce spectacle, se reflète «l’esprit du monde», écrit le philosophe, évoquant l’ombre des Iraniennes qui planaient sur le match Etats-Unis-Iran ou celui du Brexit, alors que s’affrontaient la France et l’Angleterre.
Cet esprit du monde est à nouveau convoqué alors que le Maroc s’apprête à affronter la France sur la pelouse d’un stade de Coupe du monde, en demi-finales, et ce, rappelle l’écrivain et chroniqueur, «pour la première fois de son histoire et de celle de l’Afrique». L’impact de cette qualification n’est pas anodin, car c’est «celle du pays arabe qui est allé le plus loin, depuis vingt ans, sur la voie des réformes démocratiques», explique-t-il.
BHL le philosophe laisse ensuite place à l’observateur politique et au fin connaisseur du Maroc qu'il est, un pays qu’il connait bien pour y avoir vécu et dont l’importance géopolitique ne saurait être éludée. Comme une réponse aux discours stigmatisants et haineux de ceux qui ont la mémoire bien courte, BHL rappelle quelques fondamentaux au sujet du Maroc, un «pays musulman dont le souverain a, lors d’un discours historique prononcé, en 2016, à Tanger, déclaré la guerre, sur la terre et dans les cieux, aux bandits djihadistes qui s’octroient le droit de parler au nom de Dieu».
Et BHL de rappeler que cette équipe marocaine, source de fierté, «est fille d’un peuple que sa piété n’interdit pas d’honorer, qu’elles soient juives ou chrétiennes, les minorités religieuses qui vivent en son sein ou (…) ont choisi d’y mourir». Un rappel à l’ordre et à l’apaisement qui ne saurait être ignoré par les prêcheurs de haine.
Saluant la position de sagesse et de courage du Maroc sur «la plupart des sujets internationaux et nationaux», l’écrivain rappelle, aussi, à ceux qui préfèrent éluder les faits pour mieux ternir l’image d’un pays, la réforme du Code de la famille en 2004, puis la Constitution de 2011, qui «ont donné des droits sans pareil dans le monde arabo-musulman» aux mères et aux épouses marocaines, dont BHL imagine l’ombre «derrière le pied léger de Romain Saïss, les gestes ailés de Yassine Bounou, les coups de pied arrêtés de Hakim Ziyech ou la tête victorieuse de Youssef En-Nesyri».
Lire aussi : Gérald Darmanin à l’Assemblée nationale: «Bravo au Maroc. Bravo à l’équipe de France. Réjouissez-vous pour une fois!»
«Le Maroc, à mes yeux, mérite cette heure de gloire et de grâce», estime Bernard-Henri Lévy, appelant à une reconnaissance «qui devrait aller bien au-delà de ce Mondial et s’étendre à un domaine notamment, où il plaide trop souvent en vain: celui du Sahara occidental où sa position est à la fois fidèle à l’Histoire, conforme au droit international et seule compatible avec les exigences de la paix dans la région».
De ce Mondial, BHL appelle à retenir ce qu’il estime être «le plus mémorable», à savoir «l’ange de l’Histoire prêtant une part de son halo à un noble et vieux pays qui aura su en remontrer aux plus grands tout en demeurant leur ami».
Et de conclure son billet en une prière, «puisse notre émerveillement devant le miracle marocain ne pas s’évaporer dans les gazons climatisés», entrevoyant déjà, quand les tumultes du siècle s’apaiseront, se dessiner «les grandes lignes du nouvel ordre mondial».
Ce nouveau monde, Bernard-Henri Lévy en dessine les contours: «un jour seront vaincus les revanchards des empires défunts», prédit-il. «Un jour seront contenus ceux que j’ai appelés les cinq rois, c'est-à-dire les grands Russes, les néo-Ottomans, les néo-Perses, les impérialistes chinois et les nostalgiques du Califat» poursuit-il, rappelant que ce jour-là, «il y en aura un, de roi, qu’il ne faudra pas oublier à la table des vainqueurs: Mohammed VI, petit-fils du sultan qui, dès octobre 1940, se dressa contre l’infamie des lois antisémites de Vichy et dont le pays est, depuis, l’allié loyal des nations démocratiques et, naturellement de la France».
Et de conclure: «la vraie partie se joue là. Et c’est aujourd’hui, dans la fraternité et le fair-play, que l’on s’y prépare».