Dans un café du centre-ville de Casablanca, Hafsa Boutahar a accepté de nous rencontrer et de témoigner devant notre caméra. C’est une jeune femme fluette, tremblante, visiblement physiquement et moralement affaiblie qui s’est confiée à nous. Les larmes aux yeux, elle a raconté les harcèlements qu’elle subit sur les réseaux sociaux depuis le début de l’affaire par les soutiens de son violeur présumé. Insultes, menaces de mort, de viols, harcèlement… Rien ne lui est épargné depuis qu’elle a décidé de se battre pour sa dignité et de refuser la loi du silence dans laquelle se murent de trop nombreuses victimes de viol par peur d’être clouées au pilori des préjugés et des tabous.
«Je suis épuisée», répète-t-elle à plusieurs reprises, tout en formulant l'espoir de revenir à sa vie d’avant. «J’ai perdu ma santé, je ne mange plus, je ne dors plus, je n’arrive plus à sortir dans la rue, à m’asseoir avec des gens…», explique-t-elle, à bout.
«Je vais t’attraper et te violer. Tu mérites d’être violée mille fois», lui écrit ainsi un internaute. «Tu mérites d’être tuée», la menace un autre… Des messages de ce genre, Hafsa Boutahar dit en recevoir à la pelle. «Mon dossier est pourtant clair. Ce que j’ai subi, beaucoup de femmes, d’enfants et d’hommes aussi l’ont subi. Il y a beaucoup d’autres victimes de harcèlement et de viol au Maroc, pourquoi vous n’en parlez pas?», demande-t-elle à ses détracteurs, expliquant que son cas ressemble à tellement d’autres.
«Mon dossier est clair. Pourquoi tout mélanger, pourquoi politiser ça?», interroge-t-elle une énième fois, déplorant aussi les attaques dont fait l'objet son entourage, sous couvert de l’anonymat des réseaux sociaux. «Que voulez-vous de moi aujourd’hui? Que je meure? Si je meurs, vous en serez responsable. Je ne suis déjà plus qu’une morte-vivante sur cette terre», conclut-elle dans un dernier cri du cœur.
Quelques mètres plus loin, de l’autre côté du boulevard, dans une salle de conférence de la Maison de l’Avocat, l’Association marocaine des droits des victimes (AMDV), dont fait partie Hafsa Boutahar, au même titre que les victimes de Taoufik Bouachrine, tient une conférence de presse afin d’exposer le déroulement de ce procès qui s’éternise, au grand dam de la défense de la jeune femme.
Les avocates de celle-ci sont présentes et pendant plus d’une heure, dans des plaidoyers enflammés, elles tirent à boulets rouges sur la défense de Omar Radi, qui ne cesse de demander des reports d’audience «sans raisons valables».
«Lors de la dernière audience, nous nous attendions à entendre la défense de la partie adverse, au lieu de cela, il a été demandé un report d’audience sans raison», dénonce Me Meriem Jamal Idrissi, avocate au barreau de Casablanca, et chargée des affaires judiciaires de l’AMDV qui voit, dans cet énième report, une volonté de retarder l’affaire, «une stratégie» mise en place par la partie adverse afin de mieux relayer «des mensonges» en dehors du tribunal visant à décrédibiliser une justice, qu’elle taxe de «partiale» et d’«instrumentalisée» par le pouvoir.
«Si Omar Radi a des problèmes de santé, nous n’avons pas de problème à ce qu’une audience soit ajournée car je le rappelle, nous ne sommes pas contre l’individu mais contre le crime», explique Me Meriem Jamal Idrissi. Or, assure l'avocate, ce n’est pas le cas, sans quoi une expertise médicale le confirmerait, car en dehors de la maladie de Crohn dont souffre de longue date le prévenu – une maladie inflammatoire chronique du tube digestif, et qui n’a rien à voir avec les conditions de sa détention–, rien ne justifie les incessants reports d’audiences demandés par ses avocats.
«Ce qui nous importe aujourd’hui c’est l’affaire du viol. Mais n’oublions pas qu’il y a d’autres charges qui pèsent contre le prévenu, notamment les financements étrangers et l’atteinte à la sécurité de l’Etat. Pourquoi ne parlent-ils [la défense de Omar Radi] pas de ça? Parce que ça ternirait l’image qu’ils essaient de donner de lui [Omar Radi] afin de le faire échapper à sa condamnation», juge l’avocate.
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Et de dénoncer une campagne qui vise à inverser les rôles et de faire passer la victime présumée pour la coupable. «Nous étions prêts depuis la première audience, pourtant la victime présumée [Hafsa Boutahar] est obligée de suivre des séances avec un psychologue, à un rythme soutenu, afin que celui-ci la prépare à confronter son agresseur présumé au tribunal», regrette Me Meriem Jamal Idrissi, en révélant l’état psychologique désastreux dans lequel se trouve la jeune femme, et dont fait fi la partie adverse en tentant de faire passer Omar Radi pour un résistant.
«Est-ce que sous prétexte qu’il est journaliste, il doit être exempté d’une décision de justice?», s’est interrogée à son tour Aicha Guelaâ, avocate au barreau de Casablanca et présidente de l’Association marocaine des droits des victimes.
Et de démystifier la grève de la faim qu'a suivie pendant quelques semaines Omar Radi, en considérant celle-ci comme un bras de fer mené avec la justice. «On ne fait pas pression sur la justice de la sorte (…) en disant soit vous me faites sortir de prison soit je meurs! C’est votre décision personnelle. Assumez-la! Votre état de santé relève de votre décision d’entamer une grève de la faim. Ce n’est pas l’Etat qui vous a affamé, ni l’administration pénitentiaire», a-t-elle ainsi clamé au cours de la conférence de presse.
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«Si vous êtes persuadé de l’innocence de l’accusé, allez-y, donnez les éléments de preuve à la justice. Pourquoi retarder sans cesse ce dossier?», a lancé Me Aïcha Guelaâ, en jugeant que ces reports injustifiés et répétitifs demandés par la partie adverse ne servent qu’à une chose, gagner du temps pour mener une guerre de l’information en dehors du tribunal.
L’avocate invite ainsi la partie adverse à admettre que ce n’est pas la justice qui retarde cette affaire, mais bien celle-ci (la partie adverse), et à cesser de répandre des mensonges en disant que l’audience a été reportée en raison de l’absence de Hafsa Boutahar.
Me Aicha Guelaâ a enfin attiré l’attention sur la situation économique très difficile dans laquelle se trouvent beaucoup de victimes d’agressions de cet ordre et des conséquences terribles qu’engendrent ce type de retards judiciaires dans les affaires qui les opposent à leurs présumés agresseurs. Elle a ainsi annoncé que l’Association marocaine des droits des victimes allait désigner un avocat pour entreprendre une action en justice afin que l’Etat marocain, en la personne de son gouvernement et de son chef de gouvernement, dédommage financièrement les victimes de tels actes. Jusqu’à présent a-t-elle ainsi expliqué, les victimes de viols au Maroc, quand bien même la justice tranche en leur faveur, ne sont pas dédommagées alors que de telles affaires les plongent dans une profonde détresse sociale, psychologique, physique et, de fait, économique.