«Lorsqu’un patient consulte un médecin privé, qu’il soit généraliste ou spécialiste, il supporte un restant à charge de 54% du coût de la consultation, alors qu’il dispose d’une couverture médicale. Cela est juste inadmissible!», tonne Moulay Saïd Afif, président du Collège syndical national des médecins spécialistes privés.
Réduire le restant à chargeLe reste à charge pour les assurés, autrement dit la différence entre ce qu’ils décaissent et ce qu’ils perçoivent en remboursement de la prestation médicale par la Caisse nationale des organismes de prévoyance sociale (CNOPS) ou la Caisse nationale de sécurité sociale (CNSS), les deux caisses gestionnaires de l’Assurance maladie obligatoire (AMO), est un sujet récurrent, régulièrement débattu en cette période de réforme du système sanitaire marocain. «Pour réduire le restant à charge, il est indispensable de réviser la tarification nationale de référence (TNR)», avance de prime abord Saïd Afif.
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Dans une missive adressée à Khalid Aït Taleb, ministre de la Santé et de la Protection sociale, le Collège syndical national des médecins spécialistes privés, qui regroupe les représentants de toutes les associations professionnelles des différentes spécialités médicales, appelle, entre autres, à cette révision qui tarde à être réalisée.
«La TNR doit faire l’objet de révision tous les trois ans, nous devons actuellement être à la sixième révision alors qu’on n’est même pas à la deuxième», fait remarquer le représentant des médecins spécialistes.
Une révision qui peine à se concrétiserLa dernière révision des TNR date de 2006. Des négociations ont été enclenchées en 2009 par les différentes parties prenantes sans parvenir à un accord. Entre-temps, rien n’a changé.
Le 13 janvier 2020, des conventions régissant les relations entre la CNSS et les prestataires de soins et introduisant une nouvelle TNR, avaient été signées par l’Agence nationale de l’assurance maladie (ANAM), la CNSS et les représentants des médecins du secteur privé. Un climat d’apaisement avait donc prévalu dans le microcosme de la médecine privée au Maroc, ainsi qu'en ce qui concerne l'ensemble des responsables gouvernementaux ou ceux d'organismes placés sous la tutelle de l'Etat, qui étaient présents au cours de la cérémonie de signature.
Conformément à ces conventions, les tarifs de plusieurs actes médicaux ont été revus à la hausse (Cf. tableau ci-dessous).
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Toutefois, cette décision a reçu le veto du ministère de l’Economie et des Finances, sous la tutelle duquel se trouve la CNSS, et du Secrétariat général du gouvernement (SGG). La raison évoquée pour ce blocage est le refus de la CNOPS de signer ces conventions. Son président, Abdelaziz Adnane, avait justifié sa décision par les impacts négatifs de cette revalorisation des TNR sur les régimes de l’AMO, les couvertures complémentaires, les régimes subventionnés par l’Etat et la mutuelle des FAR. «Nous n’avons jamais négocié face à face avec les prestataires de soins. L’ANAM assurait depuis plusieurs années l’intermédiation sans être mandatée par les organismes gestionnaires et sans que nous puissions connaître sa stratégie, ses priorités, le cadrage budgétaire et la protection dont disposera l’assuré en matière de soins et d’hospitalisation», avait-il précisé, interrogé à ce sujet par TelQuel.
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Résultat? Les TNR fixées en 2006 ont été maintenues, conformément à l’article 21 de la Loi 65-00 portant Code de la Couverture médicale de base, qui précise qu’«à défaut d’accord sur les termes des conventions nationales, l’administration (le ministère de la Santé et de la Protection sociale, Ndlr) reconduit d’office la convention précédente». Pour Moulay Saïd Afif, «c’est le citoyen qui paie les pots cassés, car il doit toujours payer sa consultation de spécialiste à 300 dirhams pour ne percevoir que 150 dirhams en remboursement».
«Manque de courage» du ministère de tutelleLe cadre juridique régissant l’AMO prévoit des solutions aux multiples problèmes auxquels pourrait se confronter la révision des conventions nationales et des TNR, même les plus complexes. L’article 21 de la Loi 65-00 stipule qu’«à défaut d’accord sur les termes des conventions nationales, l’administration [le ministère de la Santé et de la Protection sociale, Ndlr] (...) édicte un règlement tarifaire après consultation de l’ANAM». Autrement dit, au cas où les négociations entre les différentes parties prenantes, portant sur les termes des conventions collectives, n’aboutissent pas, le ministre de la Santé est habilité à fixer une nouvelle tarification après consultation de l’ANAM.
«Cet article n’a jamais été appliqué. On commence les négociations et on dépasse le délai légal de 6 mois sans parvenir à un accord et puis il ne se passe rien», martèle, indigné, le président du Collège syndical national des médecins spécialistes privés. Si la tutelle dispose de cette prérogative, pourquoi alors préfère-t-elle l’inaction? «Le ministre de la Santé devait prendre cette décision en 2009 déjà, mais il a préféré la politique de l’autruche. Pourtant, sur ce point, la loi est claire, il faut fixer de nouvelles tarifications de référence», explique une source proche du dossier, ayant requis l’anonymat. Réponse de Moulay Saïd Afif, qui ne mâche pas ses mots: «le ministre de la Santé n’a pas suffisamment de courage pour appliquer la loi. C’est aussi simple que cela».
Contacté par Le360, le ministère de la Santé et de la Protection sociale n’a pas souhaité répondre à nos questions.
Des négociations en cours…Selon nos sources, une réunion s’est tenue le 17 mars 2022 à Rabat entre le ministre de la Santé et de la protection sociale et les représentants des médecins du secteur privé. A l’ordre du jour, préparer le terrain pour enclencher les négociations sur les termes des nouvelles conventions nationales.
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«Au cours de cette réunion, Khalid Aït Taleb a donné ses instructions au directeur de l’ANAM et les directions de la santé concernées par cette révision pour entamer les négociations avec les signataires des conventions nationales, à savoir le Collège syndical national des médecins spécialistes privés, l’Association nationale des cliniques privées, le Syndicat national des médecins libéraux et le Syndicat national des médecins généralistes privés», confie Moulay Saïd Afif. Pour lui, il est intéressant d’adopter de nouvelles conventions nationales et revoir les TNR avant l’adoption du projet de loi-cadre relatif au système national de santé, approuvé en Conseil des ministres, le 13 juillet 2022.
Faisant suite aux consignes du ministre, les responsables de l’ANAM et les producteurs de soins ont tenu plusieurs réunions pour dresser les premiers traits de ces conventions. «On a tenu des réunions et on a finalisé un cadre conventionnel, notamment les incitations à accorder aux médecins, les délais d’octroi des prises en charge, le restant à charge, la digitalisation de la procédure d’octroi des prises en charge, etc.», déclare Moulay Saïd Afif.
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Les jalons des nouvelles conventions étant posés, des discussions sur les TNR des consultations, des journées de réanimation, les lits d’hospitalisation, seront menées dans un premier temps entre les officiels et les producteurs de soins. S’ensuivront des négociations sur les TNR des autres actes. «Ces dernières seront menées spécialité par spécialité», précise le syndicaliste.
Le temps, c’est de l’argentSi les négociations sont en cours, qu’est-ce qui justifie la missive du Syndicat national des médecins spécialistes privés? «Nous devons adopter les nouvelles conventions nationales avant 2023 (la date théorique pour adopter les nouvelles conventions nationales conformément à la Loi 65-00, Ndlr). Au rythme actuel des négociations, je ne crois pas que ce grand dossier aboutira à temps», répond Moulay Saïd Afif.
Autre hic: il faut convaincre la CNOPS, et son Directeur général, Abdelaziz Adnane, de s’aligner sur la position de la CNSS et signer les conventions nationales pour éviter le scénario de 2020. «La CNSS est forte d’un excédent dépassant les 40 milliards de dirham. Elle peut se permettre une revalorisation des taux de remboursement. La CNOPS n’a pas cette aisance financière», explique une source proche du dossier. Le Directeur de la CNOPS exige, depuis des lustres, une révision des taux de cotisation des adhérents de la caisse, inchangés depuis plus de 18 ans, une négociation directe des TNR avec les producteurs de soins, ainsi que des études d’impact de la revalorisation des TNR sur les finances de la caisse. Ce sont, pour lui, des conditions sine qua non pour parapher les nouvelles conventions.
«Il ne faut surtout pas perdre de temps, car le temps, c’est de l’argent», avoue Moulay Saïd Afif, avant de préciser, in extremis: «je ne parle pas des profits des médecins, mais des dépenses que doivent supporter les citoyens, lésés par un insupportable restant à charge». Le représentant des médecins spécialistes du secteur privé s’engage à ce que «les médecins libéraux ne revoient pas à la hausse leurs tarifs, en cas de revalorisation des TNR». Une crainte que partagent plusieurs acteurs du système de santé, ainsi que des représentants de la société civile.