Les besoins sont énormes en infrastructures, en personnel médical et paramédical, avec des fortes disparités entre les régions. Les zones suburbaines et rurales sont les plus défavorisées: médecins et infirmiers souvent absents, manque d’équipement et de matériels de soins, corruption…
De grands efforts sont déployés par le ministère de la Santé. La généralisation de la prise en charge maladie est en cours.
Il reste un déficit en médecins: 8 médecins pour 10.000 habitants alors que l’OMS en préconise 15,3 pour 10.000 habitants.
Mais la réforme peut-elle changer le comportement individuel du personnel médical et surtout paramédical, souvent scandaleux. Quelques exemples.
Maternité de Casablanca. Une femme a accouché. Son bébé a des difficultés respiratoires. Il a été pris à la maman à 17h. Toute la nuit, elle a supplié les infirmiers de lui donner des nouvelles. Aucune réponse. Le lendemain à 10h, elle pleurait son bébé qu’elle croyait mort. Il a fallu l’intervention de mon mari, médecin, pour que la maman apprenne que son bébé se portait bien. Aucune infirmière n’a écouté cette maman, ni a eu pitié de ses sanglots!
Urgences d’un hôpital à Casablanca. 20h45. J’accompagne une dame qui a une fracture à la cheville. Pas de chaise roulante. L’agent de sécurité m’en procure une et me demande un billet. Pas de personnel à l’accueil. La personne qui s’en occupe la nuit est en retard.
Le médecin est assis dans un piteux bureau, est envahi par les visiteurs. Il essaye de mettre de l’ordre, mais impossible. Il s’énerve, crie, demande des fiches censées être délivrées par la personne à l’accueil qui n’est pas encore arrivée. Hors de lui, il prend une chaise et la projette contre le mur en hurlant qu’il n’en peut plus. Pathétique! Pas de plâtre dans ces urgences pour ma malade… Et on est à Casablanca!
Il y a quelques années, une amie se présente à un hôpital à El Jadida avec son oncle malade.
L’agent de sécurité, à la porte, lui interdit l’accès, car ce n’est pas encore l’heure des visites. Elle hurle, mais finit par lui glisser 50 DH.
C’est dimanche. L’infirmière lui demande 100 DH pour faire venir le médecin. Elle donne. L’infirmière lui demande de laisser le malade passer la nuit. Elle laisse son numéro de téléphone au cas où. Le lendemain, elle se présente à l’hôpital. Ce n’est pas encore l’heure des visites. Elle donne à l’agent de sécurité 20 DH.
Le personnel ne trouve pas le malade. Elle hurle. Une femme de ménage lui chuchote à l’oreille que l’oncle est décédé la veille. On l’introduit dans une pièce où gît le mort. Il porte encore ses chaussures, les yeux ouverts, déposé sur un lit aux ressorts métalliques saillants. Le corps est entièrement recouvert de fourmis. Sa montre a disparu. Des miettes de pain trainent sur le sol et sur le lit. Pas loin de cette scène digne d’un film d’horreur, un tapis de prière étalé sur le sol.
Comment peut-on manger près d’un mort, complètement délaissé, et faire tranquillement sa prière?
Mon amie en voulait au gouvernement, au ministre de la Santé, aux députés, aux élus… Mais moi, mon problème était ailleurs.
L’État a donné des locaux, les a équipés, a affecté du personnel. Où est la responsabilité du directeur de l’hôpital, de son staff, du médecin-chef, du personnel paramédical, du personnel de l’hygiène…?
Ce qui m’inquiète, c’est l’absence de l’engagement individuel.
Si chacun des membres du personnel des hôpitaux faisait correctement son travail, avec des valeurs humaines, le système de santé serait moins défaillant. La preuve: dans certains pavillons de quelques hôpitaux, quand la direction est efficace et exerce un contrôle permanant, la qualité est satisfaisante.
À cette négligence s’ajoute la corruption qui commence par les agents de sécurité qui ont un grand pouvoir.
En bonne citoyenne, j’ai appelé le numéro vert anticorruption. On me demande d’envoyer un fax pour qu’une enquête soit effectuée. Je dis que je n’ai pas de fax car c’est dépassé. On me dit d’aller dans un cybercafé qui en dispose. Ou alors de constituer la preuve en organisant une mise en scène pour un flagrant délit. Je laisse tomber! Ce service pourrait prendre ma réclamation et en informer le directeur de l’hôpital! Il pourrait lui-même prendre ses responsabilités et mener une enquête.
La plupart des maternités sont dans un état lamentable: plusieurs femmes entassées dans des petits espaces, des taudis, sur des lits sales, des conditions d’hygiène déplorables. Une odeur de puanteur insupportable. Le personnel paramédical, censé rassurer et donner de la compassion, est souvent cruel.
Où sont les directeurs des hôpitaux? Les chefs du personnel? Les médecins-chefs?
Dans les grandes surfaces, on fait circuler des faux clients pour détecter les voleurs. La direction des hôpitaux peut faire circuler de faux malades pour enquêter. Il suffit juste de la volonté de respecter les citoyens et leur dignité.
J’ai reproché à cette amie d’avoir donné de l’argent. Mais elle n’avait pas le choix. Dans une telle situation, moi je peux me défendre, mais pas les victimes de ces négligences qui ne peuvent même pas se plaindre. Elles se saignent à blanc quand elles ont un des leurs hospitalisé pour que le corps paramédical s’en occupe correctement ou au moins ne le maltraite pas.
Mauvaise gestion, mauvais accueil, absence de professionnalisme, d’humanisme, de conscience professionnelle… De contrôle… D’inspection, de sanctions!
La meilleure des réformes ne peut donner satisfaction si les ressources humaines censées l’exécuter ne se réformaient pas pour être responsables, humaines, honnêtes, consciencieuses… Le cas échéant, ils devraient être sanctionnés.